Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/194

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de compassion, mêlés à des bruits faibles d’un autre caractère, qui rappelaient la voix d’un malade mal éveillé, et, qui se fût essayé à jurer. Le lieutenant d’Hubert s’esquiva.

Il traversa la maison silencieuse et, sorti dans la rue, se félicita du crépuscule qui dissimulait aux passants ses mains ensanglantées et les égratignures de son visage. On ne pouvait espérer pourtant tenir l’affaire secrète. Et redoutant par-dessus tout le discrédit et le ridicule, il se reprochait douloureusement de se glisser par les rues détournées avec une mine d’assassin. Soudain, le son d’une flûte, sorti par la fenêtre ouverte du premier étage d’une maison modeste, interrompit ses réflexions lugubres. Le virtuose apportait à son étude un véritable acharnement, et, sous les fioritures de la mélodie, on percevait le battement régulier du pied qui battait la mesure sur le plancher.

D’Hubert lança le nom d’un chirurgien-major qu’il connaissait bien. La flûte se tut, et le musicien paraissant à la fenêtre, son instrument en main, jeta les yeux dans la rue.

— Qui va là ? Vous, d’Hubert ? Qu’est-ce qui vous amène par ici ?

Il n’aimait pas être dérangé à l’heure où il jouait de la flûte. C’était un homme dont les cheveux avaient blanchi à panser les blessés sur les champs de bataille, et qui s’était consacré à l’ingrate besogne, en laissant les autres récolter honneurs et avancement.

— Je voudrais que vous alliez sans tarder voir Féraud. Vous connaissez le lieutenant Féraud ? Il habite à deux pas d’ici ; quelques minutes à peine.

— Qu’est-ce qu’il a donc ?

— Blessé.

— Vous en êtes sûr ?

— Sûr ? Je le quitte à l’instant.

— C’est amusant ! fit le vieux chirurgien.