Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/215

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combatifs, comme à l’incitation d’une vanité blessée. A la fin, échevelés, chemises en lambeaux, couverts de sang, et à peine capables de se tenir debout, ils furent emmenés de force par leurs témoins, muets d’horreur et d’épouvante. Plus tard, assaillis par des camarades avides de détails, ces messieurs déclarèrent que l’on ne pouvait laisser se poursuivre indéfiniment une telle boucherie. Quand on leur demanda si la querelle était enfin vidée, ils laissèrent entendre qu’un différend pareil ne pouvait se terminer que par la mort de l’un des adversaires. L’intérêt que suscita la rencontre passa d’un corps d’armée à l’autre, et gagna jusqu’aux petits détachements cantonnés entre Rhin et Save. Dans les cafés de Vienne, on estimait en général, d’après les derniers détails, que les adversaires pourraient se rencontre dans quelque trois semaines. On escomptait quelque chose de transcendant, en fait de duel.

Cette attente fut trompée par les nécessités du service qui séparèrent les deux officiers. On n’avait prêté aucune attention officielle à leur discorde, qui était devenue la chose de l’armée, et dont on ne pouvait se mêler à la légère. L’histoire du duel, ou plutôt de la rage de combat des deux ennemis dut nuire un peu à leur avancement, car la guerre de Prusse les trouva encore tous les deux capitaines, quand elle les réunit. Détachés, après Iéna, à l’armée du Nord, sous les ordres du maréchal Bernadotte, prince de Ponte-Corvo, ils entrèrent ensemble à Lubeck.

C’est seulement après l’occupation de cette ville que le capitaine Féraud trouva le loisir de songer à sa conduite future vis-à-vis de d’Hubert, qui venait d’être nommé troisième aide de camp du maréchal. Il y réfléchit une grande partie de la nuit et, au matin, pria deux amis éprouvés de venir causer avec lui.

— J’ai examiné l’affaire avec le plus grand calme, fit-il, en fixant sur eux des yeux las et injectés de sang,