Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/234

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de bel intrigant, m’a-t-on dit ; mais je n’ai aucune peine à croire ce que Féraud dit de lui, qu’il n’a jamais aimé l’Empereur !

Ils se levèrent et partirent.

Le général d’Hubert éprouva l’horreur d’un somnambule, qui sort d’un rêve de délicieuse activité pour se trouver au milieu d’une fondrière. Un dégoût profond du terrain sur lequel il marchait le submergea. Une image charmante fut même balayée de sa vue par ce flot de détresse morale. Tout ce qu’il avait été ou souhaitait devenir aurait un goût amer d’ignominie s’il ne pouvait sauver le général Féraud du sort qui menaçait tant de braves. Sous l’impulsion de ce besoin presque morbide d’assurer le salut de son adversaire, d’Hubert travailla si bien des pieds et des mains qu’en moins de vingt-quatre heures il avait trouvé le moyen d’obtenir une audience particulière du ministre de la Police.

Le général baron d’Hubert fut introduit brusquement et sans préliminaires dans un cabinet semé de chaises et de tables. Derrière un bureau, entre deux faisceaux de bougies brûlant dans des candélabres, il aperçut dans la pénombre un personnage revêtu d’un uniforme somptueux et occupé à faire des mines devant un grand miroir. Le vieux conventionnel Fouché, sénateur de l’Empire, traître à tous les hommes, à tous les principes, à tous les mobiles de la conduite humaine, duc d’Otrante, et artisan diabolique de la seconde Restauration, essayait un costume de cour sous lequel sa jeune et charmante fiancée avait manifesté l’intention de faire peindre son portrait sur porcelaine. C’était un caprice, une fantaisie exquise, à quoi le premier ministre de la Police de la seconde Restauration était désireux de complaire. Car cet homme que son astuce fit souvent comparer au renard, Mais dont l’épithète de lâche chacal suffit seule à symboliser la morale, était autant que le général d’Hubert possédé par l’amour.