Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/239

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Clarke fera de lui. S’il continue à être enragé, il recevra du ministre de la Guerre l’ordre d’aller résider dans une ville de province, sous la surveillance de la police.

Quelques jours plus tard, le général d’Hubert disait à sa sœur, après les premières expansions du retour :

— Ah ! ma chère Léonie, il me semblait que je ne pourrais jamais quitter Paris assez vite.

— Effet de l’amour? suggéra-t-elle avec un sourire malicieux.

— Et de l’horreur, ajouta d’Hubert avec une profonde gravité. J’ai failli mourir là-bas, mourir de nausée.

Son visage se contractait de dégoût. Et sous le regard attentif de sa sœur, il poursuivit :

— J’ai dû voir Fouché ; j’ai obtenu une audience et j’ai été dans son cabinet. D’avoir eu le malheur de respirer dans la même pièce que cet homme, on conserve un sentiment de dignité diminuée, un sentiment inquiet de n’être pas en somme tout à fait aussi propre qu’on le croyait. Ah ! tu ne peux pas comprendre...

Elle hocha vivement la tête, à plusieurs reprises. Elle comprenait parfaitement, au contraire. Elle connaissait son frère à fond, et l’aimait tel qu’il était. Au surplus, le mépris et le dégoût de l’humanité s’attachaient au jacobin Fouché, qui, exploitant au mieux de sa fortune, toutes les faiblesses, toutes les vertus, toutes les illusions généreuses des hommes de sa génération, en fit éternellement des dupes, et mourut obscurément duc d’Otrante.

— Mon pauvre Armand, fit-elle, avec compassion, que pouvais-tu demander à un homme pareil ?

— Rien moins qu’une vie, répondit d’Hubert. Et je l’ai obtenue. Il le fallait ! Mais il me semble que je ne pourrai jamais pardonner cette épreuve à l’homme que j’ai voulu sauver.

Le général Féraud, parfaitement incapable de comprendre ce qui lui arrivait (c’est le cas de la plupart d’entre nous), reçut du ministre de la Guerre l’ordre de