Page:Conrad - Sous les yeux d'Occident.djvu/142

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vers lui, et cette main se referma sur la sienne, la saisit et la retint en s’opposant à un geste de recul très manifeste.

« Merci une fois encore, de… de m’avoir comprise ! » reprit la jeune fille avec chaleur. Il l’interrompit de façon presque brutale, et je lui en voulus de parler à cette créature de loyauté comme s’il s’était caché derrière le bord de son chapeau : on entendit une voix faible et râpeuse, la voix d’un homme qui aurait la gorge sèche.

« Pourquoi vous remercier ?… Vous comprendre ?… En quoi vous ai-je comprise ?… Sachez donc… et cela vaudra mieux… que je ne comprends rien du tout ! Je savais que vous désiriez me voir dans ce jardin. Je n’ai pas pu venir avant ; j’en ai été empêché,… et même aujourd’hui, vous le voyez… je suis en retard. »

Elle tenait toujours la main du jeune homme.

« Au moins puis-je vous remercier de ne pas m’avoir chassée de votre esprit comme une enfant faible et nerveuse. Certes, j’ai besoin d’un appui moral. Je suis très ignorante. Mais on peut se fier à moi. Oh oui, on le peut ! »

« Ignorante ? » reprit-il, d’un ton pensif. Il avait levé la tête et regardait maintenant tout droit dans le regard de la jeune fille, qui tenait toujours sa main. Ils restèrent un long moment ainsi, puis elle desserra enfin son étreinte.

« Oui, vous êtes venu tard. C’est aimable à vous d’avoir compté que je pourrais m’être attardée… Je causais avec cet excellent ami. Je lui parlais de vous. Oui, Kirylo Sidorovitch… de vous. Il était près de moi lorsque j’ai appris votre présence à Genève, et pourra vous dire le soulagement que cette nouvelle apporta dans le désarroi de mon esprit. Il savait mon désir de me mettre à votre recherche. C’est la seule raison qui m’avait amenée à accepter l’invitation de Pierre Ivanovitch… »

« Pierre Ivanovitch vous a donc parlé de moi ? » interrompit le jeune homme de cette voix incertaine et rauque qui semblait accuser une atroce sécheresse de sa gorge.

« Oh très brièvement. Il a seulement mentionné votre nom et votre arrivée à Genève. Pourquoi lui en aurais-je demandé davantage ? Qu’aurait-il pu me dire que je n’aie appris déjà par la lettre de mon frère ? Il n’y avait que trois lignes dans cette lettre,… mais quelle signification ces lignes prenaient pour moi ! Je vous les montrerai un jour, Kirylo Sidorovitch. Seulement, aujourd’hui, il faut que je