Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il détruit la morale, car il n’y a point de morale sans sécurité ; il n’y a point d’affections douces sans la certitude que les objets de ces affections reposent à l’abri, sous la sauvegarde de leur innocence. Lorsque l’arbitraire frappe sans scrupule les hommes qui lui sont suspects, ce n’est pas seulement un individu qu’il persécute, c’est la nation entière qu’il indigne d’abord, et qu’il dégrade ensuite. Les hommes tendent toujours à s’affranchir de la douleur. Quand ce qu’ils aiment est menacé, ils s’en détachent ou le défendent. Les mœurs, dit M. de Paw, se corrompent subitement dans les villes attaquées de la peste ; on s’y vole l’un l’autre en mourant. L’arbitraire est au moral ce que la peste est au physique. Chacun repousse le compagnon d’infortune qui voudrait s’attacher à lui ; chacun abjure les liens de sa vie passée. Il s’isole pour se défendre, et ne voit, dans la faiblesse ou l’amitié qui l’implorent, qu’un obstacle à sa sûreté. Une seule chose conserve son prix : ce n’est pas l’opinion publique ; il n’existe plus ni gloire pour les puissants, ni respect pour les victimes ; ce n’est pas la justice, ses lois sont méconnues et ses formes profanées : c’est la richesse. Elle peut désarmer la tyrannie ; elle peut séduire quelques-uns de ses agents, apaiser la proscription, faciliter la fuite, répandre quelques jouissances passagères sur une vie toujours menacée. On amasse pour jouir ; on jouit pour oublier des dangers inévitables ; on oppose au malheur d’autrui la dureté, au sien

    de lieux à la fois, des milliers d’individus isolés éprouvent dans l’intérieur de leurs maisons, dans leurs relations avec des hommes plus puissants qu’eux, ce que la guerre civile a de plus horrible. Ce silence qui vous trompe est celui de la terreur ; rapprochez par l’imagination tous ces êtres malheureux, tous ces esclaves opprimés ; donnez tous les murmures sourds, à tous les désespoirs concentrés la voix qui leur manque, et dites si vous l’osez que le despotisme est un état de paix.

    (Mirabeau.)