Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/133

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En effet, les délits dont les ministres peuvent se rendre coupables ne se composent ni d’un seul acte, ni d’une série d’actes positifs dont chacun puisse motiver une loi précise ; des nuances que la parole ne peut désigner, et qu’à plus forte raison la loi ne peut saisir, les aggravent ou les atténuent. Toute tentative pour rédiger sur la responsabilité des ministres une loi précise et détaillée, comme doivent l’être les lois criminelles, est inévitablement illusoire ; la conscience des pairs est juge compétent, et cette conscience doit pouvoir prononcer en liberté sur le châtiment comme sur le crime.

J’aurais voulu seulement que la constitution ordonnât qu’aucune peine infamante ne frapperait jamais les ministres. Les peines infamantes ont des inconvénients généraux qui deviennent plus fâcheux encore, lorsqu’elles atteignent des hommes que le monde a contemplés dans une situation éclatante. Toutes les fois que la loi s’arroge la distribution de l’honneur et de la honte, elle empiète maladroitement sur le domaine de l’opinion, et cette dernière est disposée à réclamer sa suprématie. Il en résulte une lutte qui tourne toujours au détriment de la loi. Cette lutte doit surtout avoir lieu, quand il s’agit de délits politiques, sur lesquels les opinions sont nécessairement partagées. L’on affaiblit le sens moral de l’homme, lorsqu’on lui commande, au nom de l’autorité, l’estime ou le mépris. Ce sens ombrageux et délicat est froissé par la violence qu’on prétend lui faire, et il arrive qu’à la fin un peuple ne sait plus ce qu’est le mépris ou ce qu’est l’estime.

Dirigées même en perspective contre des hommes qu’il est utile d’entourer, durant leurs fonctions, de considération et de respect, les peines infamantes les dégradent en quelque sorte d’avance. L’aspect du mi-