Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/135

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mal, et par conséquent le faire. Dès lors vous avez détruit l’hypothèse sur laquelle son inviolabilité repose dans l’opinion. Dès lors le principe de la monarchie constitutionnelle est attaqué. D’après ce principe, il ne faut jamais envisager, dans l’action du pouvoir, que les ministres ; ils sont là pour en répondre. Le monarque est dans une enceinte à part et sacrée ; vos regards, vos soupçons ne doivent jamais l’atteindre. Il n’a point d’intentions, de faiblesses, point de connivence avec ses ministres, car ce n’est pas un homme[1], c’est un pouvoir neutre et abstrait, au-dessus de la région des orages.

Que si l’on taxe de métaphysique le point de vue constitutionnel sous lequel je considère cette question, je descendrai volontiers sur le terrain de l’application pratique et de la morale, et je dirai encore qu’il y aurait à refuser au chef de l’État le droit de faire grâce aux ministres condamnés, un autre inconvénient qui serait d’autant plus grave que le motif même par lequel on limiterait sa prérogative serait plus fondé.

Il se peut en effet qu’un prince, séduit par l’amour d’un pouvoir sans bornes, excite ses ministres à des trames coupables contre la constitution ou la liberté. Ces trames sont découvertes ; les agents criminels sont accusés, convaincus ; la sentence est portée. Que faites-vous, en disputant au prince le droit d’arrêter le glaive prêt à frapper les instruments de ses volontés secrètes, et en le forçant à autoriser leur châtiment ? Vous le placez entre ses devoirs politiques et les devoirs plus

  1. Les partisans du despotisme ont dit aussi que le roi n’était pas un homme ; mais ils en ont inféré qu’il pouvait tout faire, et que sa volonté remplaçait les lois. Je dis que le roi constitutionnel n’est pas un homme : mais c’est parce qu’il ne peut rien faire sans ses ministres, et que ses ministres ne peuvent rien faire que par les lois.