Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/137

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pourrions bien triompher à d’horribles époques par des violences brutales ; mais nous ne surveillerions, nous n’accuserions, nous ne jugerions jamais les ministres. Nous accourrions seulement pour les proscrire lorsqu’ils auraient été renversés.

Quand un ministre a été condamné, soit qu’il ait subi la peine prononcée par sa sentence, soit que le monarque lui ait fait grâce, il doit être préservé pour l’avenir de toutes ces persécutions variées que les partis vainqueurs dirigent sous divers prétextes contre les vaincus. Ces partis affectent pour justifier leurs mesures vexatoires des craintes excessives. Ils savent bien que ces craintes ne sont pas fondées, et que ce serait faire trop d’honneur à l’homme que de le supposer si ardent à s’attacher au pouvoir déchu. Mais la haine se cache sous les dehors de la pusillanimité, et pour s’acharner avec moins de honte sur un individu sans défense, on le présente comme un objet de terreur. Je voudrais que la loi mît un insurmontable obstacle à toutes ces rigueurs tardives, et qu’après avoir atteint le coupable, elle le prît sous sa protection. Je voudrais qu’il fût ordonné qu’aucun ministre, après qu’il aura subi sa peine, ne pourra être exilé, détenu, ni éloigné de son domicile. Je ne connais rien de si honteux que ces proscriptions prolongées. Elles indignent les nations ou elles les corrompent. Elles réconcilient avec les victimes toutes les âmes un peu élevées. Tel ministre, dont l’opinion publique avait applaudi le châtiment, se trouve entouré de la pitié publique, lorsque le châtiment légal est aggravé par l’arbitraire.

Il résulte de toutes les dispositions précédentes, que les ministres seront souvent dénoncés, accusés quelquefois, condamnés rarement, punis presque jamais. Ce résultat peut, à la première vue, paraître insuffisant aux