Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

indispensables et que toute puissance discrétionnaire dans les dépositaires de l’autorité est dangereuse ; car c’est alors que les passions étant plus animées, les dénonciations, les calomnies, les impostures sont plus fréquentes, et que l’examen le plus scrupuleux, le plus lent, le plus régulier, est nécessaire.

Dans les temps calmes, peu d’hommes ayant à se plaindre l’un de l’autre, les agents investis de la terrible prérogative des lois d’exception ne se voient pas cernés par toutes les haines déguisées, par tous les ressentiments voilés sous le nom du bien public. On peut au moins espérer alors que les lois d’exception, toujours fâcheuses, toujours injustes, ne s’appliqueront qu’à des périls soudains et à des cas extraordinaires. La masse des citoyens, paisible et unie entre elle, ne paraît pas en être menacée. Mais après une crise politique, quand tout le monde est coupable aux yeux de son voisin, quand il n’est personne qui n’ait eu quelque tort, commis quelque faute, concouru plus ou moins à quelque injustice, les lois d’exception sont des armes que chacun ambitionne et saisit à son tour.

Contradiction étrange ! presque toujours après les révolutions violentes, on proclame des amnisties, parce qu’on sent que les lois ordinaires elles-mêmes deviennent inapplicables. Or, pourquoi le deviennent-elles ? parce que leur application constante et multipliée tiendrait tous les esprits en alarme ; et c’est dans le moment où l’on reconnaît cette vérité, dans le moment où l’on désarme les lois générales, de peur que leur action ne perpétue l’inquiétude qui pousse aux résolutions désespérées : c’est dans un tel moment que l’on institue des lois extraordinaires, plus rigoureuses, plus alarmantes, plus vagues ! On proclame une amnistie, parce qu’on ne veut pas que tous les coupables, même convaincus, soient