Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/172

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pas autorisés, sauf quelques exceptions rares et courtes, à disputer à leurs commettants le droit de savoir comment ils traitaient leurs intérêts.

Un article qui paraît d’abord minutieux, et qu’on a blâmé dans la constitution qui va nous régir, contribuera puissamment à ce que les discussions soient utiles. C’est celui qui défend les discours écrits. Il est plus réglementaire que constitutionnel, j’en conviens ; mais l’abus de ces discours a eu tant d’influence, et a tellement dénaturé la marche de nos assemblées qu’il est heureux qu’on y porte enfin remède.

Ce n’est que lorsque les orateurs sont obligés de parler d’abondance, qu’une véritable discussion s’engage. Chacun frappé des raisonnements qu’il vient d’entendre est conduit naturellement à les examiner. Ces raisonnements font impression sur son esprit, même à son insu. Il ne peut les bannir de sa mémoire : les idées qu’il a rencontrées s’amalgament avec celles qu’il apporte, les modifient et lui suggèrent des réponses qui présentent les questions sous leurs divers points de vue.

Quand les orateurs se bornent à lire ce qu’ils ont écrit dans le silence de leur cabinet, ils ne discutent plus, ils amplifient ; ils n’écoutent point, car ce qu’ils entendraient ne doit rien changer à ce qu’ils vont dire ; ils attendent que celui qu’ils doivent remplacer ait fini ; ils n’examinent pas l’opinion qu’il défend, ils comptent le temps qu’il emploie, et qui leur paraît un retard. Alors il n’y a plus de discussion, chacun reproduit des objections déjà réfutées ; chacun laisse de côté ce qu’il n’a pas prévu, tout ce qui dérangerait son plaidoyer terminé d’avance. Les orateurs se succèdent sans se rencontrer ; s’ils se réfutent, c’est par hasard ; ils ressemblent à deux armées qui défileraient en sens opposé, l’une à côté de l’autre, s’apercevant à peine,