Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/223

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mêmes résultats sous un autre prétexte ; elle est plus absurde, puisqu’elle n’est pas motivée sur la conviction ; elle est plus injuste, puisque le mal qu’elle cause n’est pas pour elle un devoir, mais un calcul.

L’intolérance civile emprunte mille formes et se réfugie de poste en poste pour se dérober au raisonnement. Vaincue sur le principe, elle dispute sur l’application. On a vu des hommes, persécutés depuis près de trente siècles, dire au gouvernement qui les relevait de leur longue proscription, que s’il était nécessaire qu’il y eût dans un État plusieurs religions positives, il ne l’était pas moins d’empêcher que les sectes tolérées ne produisissent, en se subdivisant, de nouvelles sectes[1]. Mais chaque secte tolérée n’est-elle pas elle-même une subdivision d’une secte ancienne ? À quel titre contesterait-elle aux générations futures les droits qu’elle a réclamés contre les générations passées ?

L’on a prétendu qu’aucune des églises reconnues ne pouvait changer ses dogmes sans le consentement de l’autorité. Mais si par hasard ces dogmes venaient à être rejetés par la majorité de la communauté religieuse, l’autorité pourrait-elle l’astreindre à les professer ? Or, en fait d’opinion, les droits de la majorité et ceux de la minorité sont les mêmes.

On conçoit l’intolérance, lorsqu’elle impose à tous une seule profession de foi ; elle est au moins conséquente. Elle peut croire qu’elle retient les hommes dans le sanctuaire de la vérité ; mais lorsque deux opinions sont permises, comme l’une des deux est nécessairement fausse, autoriser le gouvernement à forcer les individus de l’une et de l’autre à rester attachés à l’opinion de leur secte, ou les sectes à ne jamais changer d’opinion,

  1. Discours des Juifs au gouvernement français.