Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/225

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courable qui prend pour une réponse le bruit confus de tant de prières, répétées au loin dans les airs.

Les causes de nos peines sont nombreuses. L’autorité peut nous proscrire, le mensonge nous calomnier ; les liens d’une société toute factice nous blessent ; la nature inflexible nous frappe dans ce que nous chérissons ; la vieillesse s’avance vers nous, époque sombre et solennelle où les objets s’obscurcissent et semblent se retirer, et où je ne sais quoi de froid et de terne se répand sur tout ce qui nous entoure.

Contre tant de douleurs, nous cherchons partout des consolations, et toutes nos consolations durables sont religieuses. Lorsque les hommes nous persécutent, nous nous créons je ne sais quel recours par delà les hommes. Lorsque nous voyons s’évanouir nos espérances les plus chéries, la justice, la liberté, la patrie, nous nous flattons qu’il existe quelque part un être qui nous saura gré d’avoir été fidèles, malgré notre siècle, à la justice, à la liberté, à la patrie. Quand nous regrettons un objet aimé, nous jetons un pont sur l’abîme, et le traversons par la pensée. Enfin, quand la vie nous échappe, nous nous élançons vers une autre vie. Ainsi la religion est, de son essence, la compagne fidèle, l’ingénieuse et infatigable amie de l’infortuné.

Ce n’est pas tout. Consolatrice du malheur, la religion est, en même temps, de toutes nos émotions, la plus naturelle. Toutes nos sensations physiques, tous nos sentiments moraux, la font renaître dans nos cœurs à notre insu. Tout ce qui nous paraît sans bornes, et produit en nous la notion de l’immensité, la vue du ciel, le silence de la nuit, la vaste étendue des mers, tout ce qui nous conduit à l’attendrissement ou à l’enthousiasme, la conscience d’une action vertueuse, d’un généreux sacrifice, d’un danger bravé courageusement,