Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/235

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Je dis tout ceci dans l’hypothèse ordinaire, que la religion est surtout précieuse, comme fortifiant les lois pénales ; mais ce n’est pas mon opinion. Je place la religion plus haut ; je ne la considère point comme le supplément de la potence et de la roue. Il y a une morale commune fondée sur le calcul, sur l’intérêt, sur la sûreté, et qui peut à la rigueur se passer de la religion. Elle peut s’en passer dans le riche, parce qu’il réfléchit ; dans le pauvre, parce que la loi l’épouvante, et que d’ailleurs, ses occupations étant tracées d’avance, l’habitude d’un travail constant produit sur sa vie l’effet de la réflexion. Mais malheur au peuple qui n’a que cette morale commune ! c’est pour créer une morale plus élevée que la religion me semble désirable : je l’invoque, non pour réprimer les crimes grossiers, mais pour ennoblir toutes les vertus.

Les défenseurs de la religion croient souvent faire merveille en la représentant surtout comme utile : que diraient-ils, si on leur démontrait qu’ils rendent le plus mauvais service à la religion ?

De même qu’en cherchant dans toutes les beautés de la nature un but positif, un usage immédiat, une application à la vie habituelle, on flétrit tout le charme de ce magnifique ensemble ; en prêtant sans cesse à la religion une utilité vulgaire, on la met dans la dépendance de cette utilité. Elle n’a plus qu’un rang secondaire, elle ne paraît plus qu’un moyen, et par là même elle est avilie.

L’axiome qu’il faut une religion au peuple est en outre tout ce qu’il y a de plus propre à détruire toute religion. Le peuple est averti, par un instinct assez sûr, de ce qui se passe sur sa tête. La cause de cet instinct est la même que celle de la pénétration des enfants, et de toutes les classes dépendantes. Leur intérêt les éclaire