Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/24

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et c’est avec plaisir que je viens à votre secours. — Sire, j’accepte ce bienfait ; mais la liberté passe avant la reconnaissance ; je veux rester indépendant, car si votre gouvernement fait des fautes, je serai le premier à rallier l’opposition. — C’est ainsi que je l’entends, reprit Louis-Philippe. »

Comment Benjamin Constant, si fier, si désintéressé, en était-il réduit à recevoir le payement du vote d’une couronne ? Il était joueur, et ce mot explique tout ; mais il ne devait pas jouir longtemps des largesses royales[1]. « Les ressorts de sa vie étaient usés, sa noble tête s’affaissait ; il la tenait parfois enveloppée de ses deux mains, se traînait péniblement de son banc à la tribune et ses lèvres éteintes ne pouvaient plus sourire[2]. » La mort ne tarda point à faire son œuvre : le 8 décembre 1830, le puissant orateur, dont la voix avait éveillé tant de sympathiques échos, entra dans l’éternel silence. Le lendemain, on lisait sur les murs un arrêté municipal qui rendait à sa mémoire un éclatant hommage. « La mort de Benjamin Constant, disait l’arrêté, sera un sujet de deuil pour la France entière, mais elle sera encore plus vivement sentie par la population de Paris, dont il fut pendant longtemps l’éloquent et courageux représentant. » La population répondit à cet appel, et l’illustre mort fut conduit, le 12, au cimetière de l’Est, au milieu d’un immense concours.

UN CERCUEIL ET UNE NATION.

Voilà, comme on l’a dit dans les suprêmes adieux, le grand spectacle que présenta Paris le jour de ces solennelles obsèques.

  1. Benjamin Constant passait des nuits entières au Cercle des étrangers qui était tenu par la ferme des jeux. C’est là qu’il gagna le petit hôtel de la rue Saint-Honoré. Sa passion pour le jeu lui a été très-amèrement reprochée par ses détracteurs, mais, sans chercher à l’excuser, il faut bien tenir compte de son caractère. Sous les dehors les plus aimables, il portait en lui une tristesse profonde. L’inconnu de la mort l’agitait profondément ; il y pensait sans cesse, et sa passion pour le jeu, complètement étrangère aux mobiles de la cupidité, n’était pour lui qu’un moyen de s’étourdir et d’oublier la vie.
  2. M. de Cormenin, le Livre des Orateurs, Paris, 1869, in-8. T. I, p. 350.