Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/257

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des hommes souvent étrangers à cette capitale, et contre lesquels la majorité de ses habitants était déclarée, mais qui, toutefois, s’étant rendus maîtres du centre de l’empire, étaient forts du prestige que ce poste leur prêtait. De la sorte, à plus d’une reprise, et dans plus d’une journée, Paris a décidé des destinées de la France, soit en bien, soit en mal. Au 31 mai, Paris a semblé prendre le parti du comité de salut public, et le comité de salut public a établi sans obstacle son épouvantable tyrannie. Au 18 brumaire, Paris s’est soumis à Bonaparte, et Bonaparte a régné de Genève à Perpignan, et de Bruxelles à Toulon. Au 31 mars, Paris s’est déclaré contre Bonaparte, et Bonaparte est tombé. Tous les Français éclairés l’avaient prévu et l’avaient affirmé. Les étrangers seuls ne voulaient pas le croire, parce que nulle autre capitale n’exerce une influence aussi illimitée et aussi rapide. Durant toute la révolution, il a suffi d’un décret, revêtu n’importe de quelles signatures, pourvu qu’il émanât de Paris et qu’il fût constaté que Paris s’y conformait ; il a suffi, dis-je, d’un pareil décret, pour que l’obéissance, et ce qui est plus, le concours des Français fût immédiat et entier. Un état de choses qui enlève à trente millions d’hommes toute vie politique, toute activité spontanée, tout jugement propre, peut-il être désiré ou consacré en principe ?

Nous ne voyons rien de pareil en Angleterre. Les agitations qui peuvent se faire sentir à Londres troublent sans doute sa tranquillité, mais ne sont nullement dangereuses pour la constitution même. Quand lord George Gordon, en 1780, souleva la populace, et, à la tête de plus de vingt mille factieux, remporta sur la force publique une victoire momentanée, on craignit pour la banque, pour la vie des ministres, pour cette partie de la prospérité anglaise qui tient aux établisse-