Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/275

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comme le remarque Smith[1], parce que l’effort naturel de chaque individu, pour améliorer son sort, est un principe réparateur qui remédie à beaucoup d’égards aux mauvais effets de l’administration réglementaire, comme la force vitale lutte souvent avec succès dans l’organisation physique de l’homme contre les maladies qui résultent de ses passions, de son intempérance ou de son oisiveté.

Je ne puis poser que des principes : les détails m’entraîneraient trop loin. J’ajouterai, cependant, quelques mots sur deux espèces de prohibitions ou de privilèges, frappées de réprobation depuis trente années[2] et qu’on a prétendu ressusciter dans ces derniers temps. Je veux parler des jurandes, des maîtrises, des apprentissages, système non moins inique qu’absurde : inique, en ce qu’il ne permet pas à l’individu qui a besoin de travailler le travail qui, seul, le préserve du crime ; absurde, en ce que, sous le prétexte du perfectionnement des métiers, il met obstacle à la concurrence, le plus sûr moyen du perfectionnement de tous les métiers. L’in-

  1. Richesse des Nations, liv. IV, chap. ix.
  2. La réprobation remontait beaucoup plus haut et c’est une erreur de croire que les idées de liberté industrielle et commerciale ne datent que du dix-huitième siècle. On les trouve en germe dès 1358 dans une ordonnance de Charles V, qui déclare que les règlements corporatifs d’Étienne Boileau sont faits « plus en faveur de chacun métier que pour le bien commun. » Elles se propagent au seizième siècle et le mot de liberté du commerce est souvent répété dans les cahiers des états provinciaux ou généraux. Colbert propose à Louis XIV la suppression des brevets d’apprentissage. En 1766, le gouvernement présente au Parlement un édit portant suppression des jurandes ; mais il est forcé de le retirer, à cause de l’opposition qu’il soulève dans le Parlement et parmi les gens de métiers. En 1776, Turgot promulgue un nouvel édit d’abolition, mais cet édit est bientôt révoqué. Les jurandes sont rétablies en 1777, avec quelques modifications, et elles ne sont définitivement abolies que le 2 mai 1791, par l’Assemblée constituante.
    (Note de l’éditeur.)