Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/279

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’on peut redouter, en second lieu, que l’autorité, par des encouragements extraordinaires, ne détourne les capitaux de leur destination naturelle qui est toujours la plus profitable. Les capitaux se portent d’eux-mêmes vers les emplois qui offrent le plus à gagner. Pour les y attirer, il n’y a pas besoin d’encouragement : pour ceux où il y aurait à perdre, les encouragements seraient funestes. Toute industrie qui ne peut se maintenir indépendamment des secours de l’autorité finit par être ruineuse[1]. Le gouvernement paie alors les individus pour que ceux-ci travaillent à perte. En les payant de la sorte, il paraît les indemniser ; mais comme l’indemnité ne se peut tirer que du produit des impôts, ce sont, en définitive, les individus qui en supportent le poids. Enfin, les encouragements de l’autorité portent une atteinte très-grave à la moralité des classes industrielles. La morale se compose de la suite naturelle des causes et des effets. Déranger cette suite, c’est nuire à la morale. Tout ce qui introduit le hasard parmi les hommes, les corrompt. Tout ce qui n’est pas l’effet direct, nécessaire, habituel d’une cause connue et prévue tient plus ou moins de la nature du hasard. Ce qui rend le travail la cause la plus efficace de moralité, c’est l’indépendance où l’homme laborieux se trouve des autres hommes, et la dépendance où il est de sa propre conduite et de l’ordre, de la suite, de la régularité qu’il met dans sa vie. Telle est la véritable cause de la moralité des classes occupées d’un travail uniforme et de l’immoralité si commune des mendiants et des joueurs. Ces derniers sont, de tous les hommes, les plus immoraux parce que ce sont eux qui, de tous les hommes, comptent le plus sur le hasard.

Les encouragements ou les secours du gouvernement

  1. Adam Smith, liv. IV, chap. ix.