Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/284

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ne leur en aura pas moins enseigné à compter sur les autres au lieu de ne compter que sur eux-mêmes. Elle trompera ensuite leurs espérances ; mais leur activité n’en aura pas été moins relâchée : leur véracité n’en aura pas moins souffert une altération. S’ils n’obtiennent pas les secours du gouvernement, c’est qu’ils n’auront pas su les solliciter avec une habileté suffisante. Le gouvernement s’expose enfin à se voir déçu par des agents infidèles. Il ne peut suivre dans tous les détails l’exécution des mesures qu’il ordonne, et la ruse est toujours plus habile que la surveillance. Frédéric le Grand et Catherine II avaient adopté pour l’agriculture et l’industrie le système des encouragements. Ils visitaient fréquemment eux-mêmes les provinces qu’ils s’imaginaient avoir secourues. On plaçait alors sur leur passage des hommes bien vêtus et bien nourris, preuves apparentes de l’aisance qui résultait de leurs libéralités, mais rassemblés à cet effet par les distributeurs de leurs grâces, tandis que les véritables habitants de ces contrées gémissaient au fond de leurs cabanes dans leur ancienne misère, ignorant jusqu’à l’intention des souverains qui se croyaient leurs bienfaiteurs.

Dans les pays qui ont des constitutions libres, la question des encouragements et des secours peut encore être considérée sous un autre point de vue. Est-il salutaire que le gouvernement s’attache certaines classes de gouvernés par des libéralités qui, fussent-elles sages dans leur distribution, ont nécessairement de l’arbitraire dans leur nature ? N’est-il pas à craindre que ces classes, séduites par un gain immédiat et positif, ne deviennent indifférentes à des violations de la liberté individuelle ou de la justice ? On pourrait alors les regarder comme achetées par l’autorité.

En lisant plusieurs écrivains, on serait tenté de croire