Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/311

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

viduelle à leur liberté politique, c’est le plus sûr moyen de les détacher de l’une ; et quand on y serait parvenu, on ne tarderait pas à leur ravir l’autre.

Vous voyez, Messieurs, que mes observations ne tendent nullement à diminuer le prix de la liberté politique. Je ne tire point des faits que j’ai remis sous vos yeux les conséquences que quelques hommes en tirent. De ce que les anciens ont été libres, et de ce que nous ne pouvons plus être libres comme les anciens, ils en concluent que nous sommes destinés à être esclaves. Ils voudraient constituer le nouvel état social avec un petit nombre d’éléments qu’ils disent seuls appropriés à la situation du monde actuel. Ces éléments sont des préjugés pour effrayer les hommes, de l’égoïsme pour les corrompre, de la frivolité pour les étourdir, des plaisirs grossiers pour les dégrader, du despotisme pour les conduire ; et, il le faut bien, des connaissances positives et des sciences exactes pour servir plus adroitement le despotisme. Il serait bizarre que tel fût le résultat de quarante siècles durant lesquels l’espèce humaine a conquis plus de moyens moraux et physiques ; je ne le puis penser.

Je tire des différences qui nous distinguent de l’antiquité des conséquences tout opposées. Ce n’est point la garantie qu’il faut affaiblir, c’est la jouissance qu’il faut étendre. Ce n’est point à la liberté politique que je veux renoncer ; c’est la liberté civile que je réclame, avec d’autres formes de liberté politique. Les gouvernements n’ont pas plus qu’autrefois le droit de s’arroger un pouvoir illégitime. Mais les gouvernements qui partent d’une source légitime ont de moins qu’autrefois le droit d’exercer sur les individus une suprématie arbitraire. Nous possédons encore aujourd’hui les droits que nous eûmes de tout temps, ces droits éternels à consentir les