Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/320

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La propriété existe de par la société ; la société a trouvé que le meilleur moyen de faire jouir ses membres des biens communs à tous, ou disputés par tous avant son institution, était d’en concéder une partie à chacun, ou plutôt de maintenir chacun dans la partie qu’il se trouvait occuper, en lui en garantissant la jouissance, avec les changements que cette jouissance pourrait éprouver, soit par les chances multipliées du hasard, soit par les degrés inégaux de l’industrie.

La propriété n’est autre chose qu’une convention sociale ; mais de ce que nous la reconnaissons pour telle, il ne s’en suit pas que nous l’envisagions comme moins sacrée, moins inviolable, moins nécessaire, que les écrivains qui adoptent un autre système. Quelques philosophes ont considéré son établissement comme un mal, son abolition comme possible ; mais ils ont eu recours, pour appuyer leurs théories, à une foule de suppositions dont quelques-unes peuvent ne se réaliser jamais, et dont les moins chimériques sont reléguées à une époque qu’il ne nous est pas même permis de prévoir : non-seulement ils ont pris pour base un accroissement

    du champ qu’il a semé, de la vigne qu’il a plantée ? Quand il repousse le sauvage qui le pille, n’a-t-il pas le droit pour lui ? La propriété n’est donc pas une création sociale, elle n’existe pas de par la société ; tout au contraire, on pourrait soutenir que la société n’existe que pour garantir la propriété. La propriété, c’est l’homme qui l’a créée, par l’exercice de ses facultés ; la propriété, c’est l’homme agrandi. Faire de la propriété une convention sociale, c’est justifier par avance le communisme, qui n’est qu’une distribution sociale du sol et du capital, faite au nom de l’intérêt général prétendu.

    (Note de M. Laboulaye.)
    L’opinion si juste, formulée par M. Laboulaye dans la note ci-dessus, est de tout point conforme à celle du plus profond penseur de l’antiquité. Voir la Politique d’Aristote, liv. II, ch. i. — On la retrouve au seizième siècle dans la République de Bodin, liv. I, ch. viii. Bodin fait de la propriété l’un des fondements de l’État, et la déclare inviolable par elle-même.
    (Note de l’éditeur.)