Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/325

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qu’elles puissent être. La faculté qu’il a d’aliéner sa créance le rend indifférent à la chance probable, mais éloignée, de la ruine nationale. Il n’y a pas un coin de terre, pas une manufacture, pas une source de productions, dont il ne contemple l’appauvrissement avec insouciance, aussi longtemps qu’il y a d’autres ressources qui subviennent à l’acquittement de ses revenus[1].

La propriété dans les fonds publics est d’une nature essentiellement égoïste et solitaire, et qui devient facilement hostile, parce qu’elle n’existe qu’aux dépens des autres. Par un effet remarquable de l’organisation compliquée des sociétés modernes, tandis que l’intérêt naturel de toute nation est que les impôts soient réduits à la somme la moins élevée qu’il est possible, la création d’une dette publique fait que l’intérêt d’une partie de chaque nation est l’accroissement des impôts[2].

Mais quels que soient les effets fâcheux des dettes publiques, c’est un mal devenu inévitable pour les grands États. Ceux qui subviennent habituellement aux dépenses nationales par des impôts, sont presque toujours forcés d’anticiper, et leurs anticipations forment une dette : ils sont de plus, à la première circonstance extraordinaire, obligés d’emprunter. Quant à ceux qui ont adopté le système des emprunts préférablement à celui des impôts, et qui n’établissent de contributions que pour faire face aux intérêts de leurs emprunts (tel est à peu près de nos jours le système de l’Angleterre), une dette publique est inséparable de leur existence. Ainsi recommander aux États modernes de renoncer aux ressources que le crédit leur offre, serait une vaine tentative.

  1. Smith, Richesse des Nations, t. V, p. 3.
  2. Necker, Administration des Finances, t. II, p. 378-379.