Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/355

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frère, et aurait par cette action encouru la peine de mort. Cet exemple, selon moi, loin de militer contre l’institution du juré, en fait le plus grand éloge ; il prouve que cette institution met obstacle à l’exécution des lois contraires à l’humanité, à la justice et à la morale. On est homme avant d’être juré : par conséquent, loin de blâmer le juré qui, dans ce cas, manquerait à son devoir de juré, je le louerais de remplir son devoir d’homme, et de courir, par tous les moyens qui seraient en son pouvoir, au secours d’un accusé, prêt à être puni d’une action qui, loin d’être un crime, est une vertu. Cet exemple ne prouve point qu’il ne faille pas de jurés ; il prouve qu’il ne faut pas de lois qui prononcent peine de mort contre celui qui donne asile à son frère.

Mais alors, poursuit-on, quand les peines seront excessives ou paraîtront telles au juré, il prononcera contre sa conviction. Je réponds que le juré, comme citoyen et comme propriétaire, a intérêt à ne pas laisser impunis les attentats qui menacent la sûreté, la propriété ou la vie de tous les membres du corps social ; cet intérêt l’emportera sur une pitié passagère : l’Angleterre nous en offre une démonstration peut-être affligeante. Des peines rigoureuses sont appliquées à des délits qui certainement ne les méritent pas ; et les jurés ne s’écartent point de leur conviction, même en plaignant ceux que leur déclaration livre au supplice[1]. Il y a dans l’homme un certain respect pour la loi écrite ; il lui faut des motifs très-puissants pour la surmonter. Quand ces motifs existent, c’est la faute des lois. Si les peines paraissent excessives aux jurés, c’est qu’elles le seront ; car, encore

  1. J’ai vu des jurés, en Angleterre, déclarer coupable une jeune fille, pour avoir volé de la mousseline de la valeur de treize schellings. Ils savaient que leur déclaration emportait contre elle la peine de mort.