Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/366

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ces hommes grossiers qui, par le choix spontané de leur vocation sévère, ont prouvé d’avance combien ils étaient peu capables de pitié. Ces hommes pourront le gêner dans toutes ses actions, mettre à prix les plus faibles adoucissements dont sa destinée sera susceptible, lui infliger une à une mille souffrances physiques qui, considérées en détail, ne sauraient motiver l’intervention de l’autorité la plus équitable, mais qui, réunies, forment de la vie un tourment continuel. Ils spéculeront sur sa nourriture, sur ses vêtements, sur l’espace et la salubrité du cachot qui le renferme. Ils pourront troubler le repos qu’il cherche, lui envier même le silence, insulter à ses douleurs ; car lui seul entendra leurs paroles outrageantes ou féroces. Ils seront investis à son égard d’une dictature ténébreuse, dont nul ne sera témoin, sur l’excès de laquelle on n’écoutera qu’eux, et qu’ils justifieront par la ponctualité du devoir et la nécessité de la vigilance. Tel est néanmoins le sens de ces mots : cinq ans de prison. Si l’on se retrace maintenant ce qu’est malheureusement la nature humaine ; si l’on réfléchit à la disposition que nous avons tous à abuser du pouvoir le plus restreint ; si l’on songe que le meilleur d’entre nous est changé subitement quand on lui confie une autorité discrétionnaire, que le seul frein du despotisme est la publicité, et qu’au sein des prisons tout se passe dans le secret et dans l’ombre, je ne connais pas d’imagination qui ne doive s’épouvanter. Il m’est arrivé quelquefois, dans la solitude, de me représenter tout à coup combien, tandis que je jouissais paisiblement de ma liberté, il y avait sur la surface du globe, dans les pays les plus civilisés comme dans les plus barbares, d’hommes condamnés à ce supplice lent et terrible ; et j’étais effrayé de la somme de douleur qui semblait se presser autour de moi, et me