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Rien de plus évidemment faux. La terreur a lié des souvenirs affreux à tout ce qui tient à la république. Elle a mêlé une idée de moralité aux pratiques les plus puériles, aux formes les plus futiles de la monarchie.

C’est à la terreur qu’il faut attribuer le dépérissement de l’esprit public, le fanatisme qui se soulève contre tout principe de liberté, l’opprobre répandu sur tous les républicains, sur les hommes les plus éclairés et les plus purs. Les ennemis de la république s’emparent habilement de la réaction que la terreur a causée. C’est de la mémoire de Robespierre que l’on se sert pour insulter aux mânes de Condorcet et pour assassiner Sieyès[1]. C’est à cet horrible abus de la force qu’il faut attribuer encore aujourd’hui la répugnance de quelques hommes honnêtes pour tous les principes qui ne conduisent pas au repos et au silence sous le despotisme.

C’est la frénésie de 1794 qui fait abjurer, par des hommes faibles ou aigris, les lumières de 1789.

« Le despotisme de la terreur, ajoute-t-on, devait préparer les voies à une constitution libre, et il n’est pas douteux que s’il ne l’avait précédée, elle n’eût jamais pu s’établir[2]. »

Ce régime abominable n’a point, comme on l’a dit, préparé le peuple à la liberté. Mais il l’a rendu indifférent, peut-être impropre à la liberté. Il a courbé les têtes, mais il a dégradé les esprits et flétri les cœurs.

La terreur, pendant son règne, a servi les amis de l’anarchie, et le souvenir de la terreur sert aujourd’hui les amis du despotisme.

Elle a accoutumé le peuple à entendre proférer les

  1. La tentative d’assassinat dirigée contre Sieyès eut pour auteur un ancien moine Augustin, l’abbé Ponse. Elle eut lieu en avril 1797.
    (Note de l’éditeur.)
  2. Des causes de la Révolution, p. 44.