Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/426

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’aura pu lui prouver l’utilité, il faudra que l’autorité soudoie une foule avide destinée à briser l’opposition générale. On verra l’espionnage et la délation, ces éternelles ressources de la force, quand elle a créé des devoirs et des délits factices, encouragées et récompensées ; des sbires lâchés, comme des dogues féroces, dans les cités et dans les campagnes, pour poursuivre et pour enchaîner des fugitifs, innocents aux yeux de la morale et de la nature ; une classe se préparant à tous les crimes, en s’accoutumant à violer les lois ; une autre classe se familiarisant avec l’infamie, en vivant du malheur de ses semblables ; les pères punis pour les fautes des enfants ; l’intérêt des enfants séparé ainsi de celui des pères ; les familles n’ayant que le choix de se réunir pour la résistance, ou de se diviser pour la trahison ; l’amour paternel transformé en attentat, la tendresse filiale traitée de révolte ; et toutes ces vexations auront lieu, non pour une défense légitime, mais pour l’acquisition de pays éloignés, dont la possession n’ajoute rien à la prospérité nationale, à moins qu’on n’appelle prospérité nationale le vain renom de quelques hommes et leur funeste célébrité.

Soyons justes pourtant. On offre des consolations à ces victimes, destinées à combattre et à périr aux extrémités de la terre. Regardez-les : elles chancellent en suivant leurs guides. On les a plongées dans un état d’ivresse qui leur inspire une gaîté grossière et forcée. Les airs sont frappés de leurs clameurs bruyantes : les hameaux retentissent de leurs chants licencieux. Cette ivresse, ces clameurs, cette licence, qui le croirait ? c’est le chef-d’œuvre de leurs magistrats.

Étrange renversement produit, dans l’action de l’autorité, par le système des conquêtes ! Durant vingt années, vous avez recommandée ces mêmes hommes la sobriété,