Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/85

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vœu national. Songez au sénat de Tibère, songez au parlement d’Henri VIII.

Ce que j’ai dit de la noblesse s’applique également à la propriété. Les anciens propriétaires sont les appuis naturels d’un monarque légitime ; ils sont les ennemis nés d’un usurpateur. Or je pense qu’il est reconnu que pour qu’un gouvernement soit paisible, la puissance et la propriété doivent être d’accord. Si vous les séparez, il y aura lutte, et à la fin de cette lutte, ou la propriété sera envahie, ou le gouvernement sera renversé.

Il paraît plus facile de créer de nouveaux propriétaires que de nouveaux nobles ; mais il s’en faut qu’enrichir des hommes devenus puissants soit la même chose qu’investir du pouvoir des hommes qui étaient nés riches. La richesse n’a point un effet rétroactif. Conférée tout à coup à quelques individus, elle ne leur donne ni cette sécurité sur leur situation, ni cette absence d’intérêts étroits, ni cette éducation soignée qui forment ses principaux avantages. On ne prend pas l’esprit propriétaire aussi lestement qu’on prend la propriété. À Dieu ne plaise que je veuille insinuer ici que la richesse doit constituer un privilège ! Toutes les facultés naturelles, comme tous les avantages sociaux, doivent trouver leur place dans l’organisation politique, et le talent n’est certes pas un moindre trésor que l’opulence. Mais, dans une société bien organisée, le talent conduit à la propriété. Le corps des anciens propriétaires se recrute ainsi de nouveaux membres, et c’est la seule manière dont un changement progressif, imperceptible et toujours partiel, doive s’opérer. L’acquisition lente et graduelle d’une propriété légitime est autre chose que la conquête violente d’une propriété qu’on enlève. L’homme qui s’enrichit par son industrie ou ses facultés apprend à mériter ce qu’il acquiert ; celui qu’enrichit la