Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/99

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objecté que si Buonaparte n’eût pas commis telle ou telle faute militaire, il n’aurait pas été renversé : pas cette fois, mais une autre ; pas aujourd’hui, mais demain. Il est dans la nature qu’un joueur, qui, chaque jour, court une chance nouvelle, rencontre un jour celle qui doit le ruiner.

On m’a reproché d’avoir affirmé que les conquêtes étaient impossibles au moment où l’Europe entière était la proie d’une vaste conquête et que l’usurpation ne pouvait s’affermir dans notre siècle, tandis que l’usurpation était triomphante. Pendant qu’on me faisait cette objection, toutes les conquêtes ont été reprises et l’usurpation est tombée.

J’ai prétendu que la paix était conforme à l’esprit de notre civilisation actuelle, et tous les peuples étaient en guerre ; mais ils étaient en guerre par amour pour la paix. C’est au nom de la paix qu’ils se sont soulevés. Aucune contrainte, aucune menace n’a été nécessaire pour les réunir et les conduire, tandis qu’en France, où la nation devait combattre, non pour la paix, mais pour la conquête, des sbires, des gendarmes, des bourreaux réussissaient à peine à forcer les citoyens à prendre les armes.

Il me semble donc que je n’ai point généralisé une idée particulière. Seulement, je n’ai pas adopté une logique en vertu de laquelle toutes les idées générales seraient bannies, car on peut toujours supposer d’autres circonstances que celles qui ont existé et travestir en accidents les lois de la nature. Je crois, je l’avoue, qu’il est plus important de montrer que les maux infligés par Buonaparte à la France sont venus de ce que son pouvoir avait dégénéré en usurpation, et de flétrir ainsi l’usurpation même, qu’il ne peut l’être de présenter un individu, comme un être à part, créé pour le mal et com-