Page:Constant - Adolphe (Extraits de la correspondance), 1960.djvu/120

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était toujours interrompue, où il y avait entre deux âmes qui avaient besoin de s’entendre une barrière invincible, un mur de glace qui les empêchait de se rapprocher. Le portrait du comte d’Erfeuil est un chef d’œuvre en son genre ; on voit qu’il est observé d’après nature et décrit sans malveillance. Le comte d’Erfeuil est un homme dont toutes les opinions sont sages, toutes les actions louables ; dont la conduite est généreuse sans être imprudente, raisonnable sans être trop circonspecte ; qui ne se compromet ni en servant ses amis ni en les abandonnant ; qui se court le malheur sans en être ému, le souffre sans être accablé ; qui porte dans sa tête un petit code de maximes littéraires, politiques et morales, ramenées toujours à propos dans la conversation, et qui, muni de la sorte, traverse le monde commodément, agréablement, élégamment. On a reproché à Mme de Staël quelque exagération dans la teinte innocente et légère du ridicule qu’elle donne quelquefois au comte d’Erfeuil. On a prétendu qu’il n’était pas possible qu’un Français, à Rome, appelât une italienne « Belle étrangère ». On avait donc oublié ce trait si connu d’un Français dînant avec beaucoup d’autres Français chez un prince d’Allemagne, et lui disant tout à coup : « C’est singulier, Monseigneur, il n’y a que votre Altesse d’étranger ici ». Celui qui écrit ces lignes a vu