Page:Constant - Le Cahier rouge, éd. Constant de Rebecque.djvu/48

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et le chagrin de n’y parvenir que par moments avait bien vite détruit le bonheur qu’elle s’était promis dans cette union à quelques égards disproportionnée. Un homme beaucoup plus jeune qu’elle, d’un esprit très médiocre, mais d’une belle figure, lui avait inspiré un goût très vif. Je n’ai jamais su tous les détails de cette passion : mais ce qu’elle m’en a dit et ce qui m’a été raconté d’ailleurs a suffi pour m’apprendre qu’elle en avait été fort agitée et fort malheureuse, que le mécontentement de son mari avait troublé l’intérieur de sa vie, et qu’enfin le jeune homme qui en était l’objet l’ayant abandonnée pour une autre femme qu’il a épousée, elle avait passé quelque temps dans le plus affreux désespoir. Ce désespoir a tourné à bien pour sa réputation littéraire, car il lui a inspiré le plus joli des ouvrages qu’elle ait faits : il est intitulé Caliste, et fait partie d’un roman qui a été publié sous le titre de Lettres écrites de Lausanne.

Elle était occupée à faire imprimer ce livre quand je fis connaissance avec elle. Son esprit m’enchanta. Nous passâmes des jours et des nuits à causer ensemble. Elle était très sévère dans ses jugements sur tous ceux qu’elle voyait.