Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/15

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dans leur nouvelle demeure, et que le colonel allait beaucoup mieux ; les miss Jarvis étaient aux petits soins avec lui, et ne lui laissaient pas même le temps de former un désir. Le malade était en pleine convalescence ; il n’y avait donc aucune indiscrétion à faire la visite qu’on avait projetée.

M. Jarvis reçut ses hôtes avec la franchise d’un bon cœur ; il ne connaissait pas tous les usages du grand monde, mais il avait cette espèce de rondeur qui supplée souvent à l’éducation. Sa femme, au contraire, n’eût pas voulu enfreindre la règle la plus minutieuse de l’étiquette, et son ton formait un contraste plaisant avec les airs qu’elle se donnait. Les miss Jarvis étaient assez jolies ; mais elles n’avaient point cette aisance, ces manières gracieuses qu’on acquiert dans le monde ; elles semblaient toujours éprouver une sorte de gêne et de contrainte.

Le colonel Egerton reposait sur un sopha, la jambe étendue sur une chaise, et entourée de linges et de compresses. Malgré son état de souffrance, c’était encore le moins embarrassé de la compagnie ; et, après avoir prié les dames d’excuser son déshabillé, il parut oublier son accident pour être tout entier à la conversation.

— Mon fils le capitaine, dit Mrs Jarvis en appuyant d’un air de satisfaction sur le dernier mot, est allé avec ses chiens reconnaître un peu le pays ; car il n’aime que la chasse, et il n’est jamais si heureux que lorsqu’il peut courir les champs le fusil sur l’épaule. En vérité, Milady, les jeunes gens d’aujourd’hui semblent croire qu’ils soient seuls au monde. J’avais prévenu Henry que vous auriez la bonté de venir ce matin avec ces demoiselles, mais bah ! il est parti comme si M. Jarvis n’avait pas le moyen d’acheter un rôti, et qu’il nous fallût attendre après ses cailles et ses faisans.

— Ses cailles et ses faisans ! s’écria John d’un air consterné ; le capitaine Jarvis tire-t-il sur des cailles et des faisans à cette époque de l’année ?

— Mrs Jarvis, Monsieur, dit le colonel Egerton avec un léger sourire, est plus au fait des égards que tout vrai gentilhomme doit aux dames, que des règles de la chasse. Ce n’est pas, je crois, avec un fusil, Madame, c’est armé d’une ligne que mon ami le capitaine s’est mis en campagne.

— Ligne ou fusil, qu’importe ? s’écria Mrs Jarvis. Il n’est jamais là quand on a besoin de lui ; et ne pouvons-nous pas acheter