Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/231

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avait un air aussi commun, se retira d’un pas en arrière, en lui rendant son salut d’un air de dignité.

La femme du marchand ne se rebuta pas ; elle tenait trop à passer pour l’amie d’une dame de qualité ; et, soupçonnant avec raison que la douairière ne la remettait pas, elle ajouta, avec un sourire prétentieux, tel qu’elle en voyait souvent faire avec succès dans le monde :

— Je suis lady Jarvis, Milady, vous savez bien, lady Jarvis du Doyenné, à B***, dans le comté de Northampton. Permettez-moi de vous présenter mes filles, lady Egerton et miss Jarvis.

Lady Egerton baissa à peine la tête, et se redressa aussitôt avec fierté, quoique la douairière eût enfin daigné prendre un air plus gracieux ; mais sa jeune sœur, se rappelant qu’il y avait un jeune lord dans la famille, se montra beaucoup plus affable, et elle se fût volontiers inclinée jusqu’à terre, tant il lui tardait de devenir une grande dame comme sa sœur.

— J’espère que sir Edward se porte bien, ajouta lady Jarvis. Combien je regrette que sir Timo, mon époux, sir Henry, mon gendre, et mon fils le capitaine, ne soient pas ici pour vous présenter leurs hommages ! Mais heureusement nous nous reverrons plus d’une fois, et c’est une occasion qui n’est que différée.

— Sans doute, Madame, répondit la douairière ; et voyant passer une dame de ses amies, elle courut à elle pour éviter une plus longue conversation avec des personnes qui semblaient être sur un pied fort équivoque dans le monde, et avec lesquelles elle rougissait d’être aperçue.

Telle est la tyrannie que l’opinion des autres exerce sur nous, qu’il n’en est ni de plus absolue, ni de plus redoutée. De là l’influence de la mode sur toutes nos actions. Une personne est à la mode, c’est assez : tout le monde la recherche, et personne ne s’informe de son mérite. La mode est changeante, capricieuse, bizarre ; quelques fous, quelques oisifs en sont les coryphées : on n’ose appeler de leurs arrêts, et voilà où nous conduit l’erreur que nous commettons de prendre l’homme au lieu de Dieu pour juge de nos opinions et de notre conduite !