Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/174

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de ton digne père ! L’honnête marchand amenait son cutter dans le port avec un air aussi innocent que s’il eût été sur un bateau de meunier. Nous n’avions de conversation sur la qualité de ses marchandises que lorsque ses prix étaient faits et que mon or était à côté. Le hasard décidait quel était celui qui faisait le meilleur marché. J’étais un homme riche alors, maître Seadrift ; mais tes habitudes dans le commerce sont celles de l’avarice en personne !

Pendant un instant les lèvres du contrebandier exprimèrent le mépris ; mais cette expression fit bientôt place à une pénible tristesse.

— Tu as déjà plus d’une fois adouci mon cœur par ces allusions à mon père, libéral bourgeois, répondit-il, et j’ai payé tes éloges de bien des doublons.

— Je mets autant de désintéressement dans mes paroles qu’un ministre dans ses sermons ! Qu’est-ce qu’un peu d’or entre amis ! Oui, il y avait du bonheur dans le commerce pendant la vie de ton prédécesseur. Il avait un bâtiment convenable et trompeur, qu’on pouvait comparer à un cheval de course sans harnais. Il ne manquait pas d’activité lorsqu’il fallait en avoir, et cependant il avait l’air paisible d’un bourgeois d’Amsterdam. J’ai vu un croiseur de l’échiquier l’aborder et lui demander des nouvelles du fameux contrebandier, avec aussi peu de soupçons que s’il eût parlé au lord grand amiral ! On ne plaisantait pas dans ce temps-là ; on ne voyait point de coquine effrontée sous son mât de beaupré pour faire perdre contenance à un honnête homme ; point d’extravagants sur les voiles ni en peinture ; point de chant ni de luth, tout était raisonnable et avantageux. Puis il était homme à lester son bateau avec quelque chose qui eût de la valeur. Je l’ai vu y mettre cinquante tonneaux de genièvre sans donner un denier pour le fret, quand il avait terminé pour des objets précieux… et finir par débarquer en Angleterre pour une petite prime, quand le don était fait….

— Il mérite tes éloges, reconnaissant alderman ; mais où cela doit-il aboutir ?

— Eh bien ! si de l’or doit encore passer par nos mains, continua Myndert avec répugnance, nous ne perdrons pas de temps à le compter, quoique Dieu sache, maître Seadrift, que tu m’as déjà mis à sec. Depuis peu de grandes pertes m’ont accablé. Voilà un