Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/47

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en observant que le maître du bac, afin de satisfaire ses passagers, courait aussi près que possible des sombres flancs du croiseur. — Mers et océans ! la baie d’York n’est-elle pas assez large pour que vous essuyiez la poussière de ce vaisseau oisif ! Si la reine savait comment on boit et comment on mange son argent parmi les paresseux coquins qui sont à bord de ce bâtiment, elle les enverrait chasser les flibustiers des îles. Alida, mon enfant, regardez du côté de la terre, et vous ne penserez plus à la frayeur que ce sot vous cause. Il veut seulement nous prouver son adresse à gouverner.

Mais la nièce ne montrait aucunement la frayeur que l’oncle voulait bien lui attribuer. Au lieu de pâlir, des couleurs brillantes animaient ses joues, tandis que la périagua dansait sous le vent du croiseur, et si sa respiration devint plus rapide, on pouvait douter que cet incident fût produit par l’agitation de la crainte. La vue des mâts élevés et de la masse de cordages suspendus presque au-dessus de la périagua, empêchèrent qu’on ne s’aperçût de ce changement. Cent regards curieux étaient déjà fixés sur les passagers du bac, à travers les sabords du vaisseau, lorsqu’un officier, qui portait l’uniforme d’un capitaine de la marine de cette époque, parut subitement près du grand mât, et salua la société de la périagua, en agitant son chapeau comme quelqu’un qui est agréablement surpris.

— Un beau ciel et un vent doux à chacun et à tous ! cria-t-il avec la franchise d’un marin. Je baise les mains de la belle Alida ; l’alderman recevra, j’espère, les bons souhaits d’un matelot. Monsieur van Staats, je vous salue.

— Hé ! murmura le bourgeois, vous autres paresseux, vous n’avez rien de mieux à faire que de mettre les paroles à la place des actions. Une guerre qui traîne en longueur et un ennemi éloigné vous rendent, vous autres matelots, seigneurs de la terre ferme, capitaine Ludlow.

Alida rougit, hésita, et, par un mouvement presque involontaire, elle agita son mouchoir. Le jeune patron se leva, et répondit par un salut poli au compliment qui lui était adressé. À ce moment, le bac avait presque dépassé le vaisseau, et le visage de l’alderman reprenait son calme habituel, lorsque le marin au châle des Indes se leva sur ses pieds et se trouva tout d’un coup de nouveau au milieu des passagers.