Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/80

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— Gratitude ! répéta Alida, et cette fois sa surprise n’était pas feinte ; le mot est fort, Monsieur, et il exprime quelque chose au-delà d’un acte de politesse aussi simple que celui de vous prêter un volume de poésie ne semblait l’exiger.

— Je me suis étrangement abusé sur le contenu de la lettre, ou ce jour a été un jour de folie, dit Ludlow en essayant de cacher son mécontentement. Non, vos propres paroles réfutent cette expression de froideur que je vois dans vos yeux ; mais, sur l’honneur d’un marin, Alida, je croirai plutôt les pensées que vous avez tracées avec réflexion, que ces caprices fantasques, indignes de votre caractère. Voilà vos propres paroles : je n’abandonnerai pas facilement les espérances flatteuses qu’elles me donnent.

Alida regarda le jeune marin avec surprise ; ses couleurs disparurent. Elle ne croyait pas s’être rendue coupable d’indiscrétion en écrivant, et elle était persuadée qu’elle ne l’avait point fait en termes qui pussent justifier la confiance que lui montrait son amant. Les usages du siècle, la profession du jeune marin et l’heure indue à laquelle il se présentait chez elle, la portèrent à examiner attentivement son visage, afin de voir s’il avait toute sa raison ; mais Ludlow avait la réputation d’être exempt d’un vice qui n’était alors que trop commun parmi les marins, et il n’y avait rien, dans ses traits spirituels et réguliers, qui pût causer la moindre alarme. Alida tira le cordon d’une sonnette et fit signe à son compagnon de s’asseoir.

— François, dit Alida lorsque le vieux valet, à moitié endormi, entra dans l’appartement, fais-moi le plaisir d’aller chercher de l’eau de fontaine du bosquet, et apporte en même temps du vin, le capitaine Ludlow désire se rafraîchir ; et rappelle-toi, bon François, qu’il ne faut pas déranger mon oncle à cette heure ; il doit avoir besoin de repos après un voyage aussi fatigant.

Lorsque le serviteur respectueux et respectable eut quitté l’appartement pour accomplir sa commission, Alida prit un siège, satisfaite d’avoir ravi à la visite de Ludlow son caractère de clandestinité, et en même temps d’avoir donné à son domestique une commission qui lui laisserait le temps nécessaire d’approfondir l’inexplicable conduite de son compagnon.

— Je puis vous assurer, capitaine Ludlow, dit Alida aussitôt qu’ils furent seuls, que je trouve votre visite dans ce pavillon indiscrète, sinon cruelle, et vous me permettrez de douter des