Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/93

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en tirer dans toutes les circonstances empêchaient ce lieu d’être d’un intérêt général parmi les pilotes côtiers. Lorsqu’il était ouvert, la profondeur de l’eau était incertaine ; car une ou deux semaines de calme, ou des vents d’ouest, permettaient aux marées de balayer son canal, tandis qu’un seul coup de vent de l’est suffisait pour remplir le passage de sable. Il n’est pas étonnant qu’Alida ressentît une surprise qui n’était pas exempte de crainte superstitieuse, quand à cette heure, et dans une telle solitude, elle vit un vaisseau glisser, sans aide de voile ni d’avirons, hors du bosquet qui bordait l’Océan du côté du Cove, jusque dans le centre de la crique.

Ce singulier et mystérieux bâtiment était un brigantin d’une construction mixte, qui est très en usage dans les mers les plus classiques et les plus anciennes de l’autre hémisphère, et qu’on suppose réunir les avantages d’un vaisseau carré et de forme longitudinale, mais qu’on ne peut voir nulle part déployer la même beauté de formes et la même symétrie que sur les côtes de cet État. Le premier et le plus petit de ses mâts à toutes les machines compliquées d’un vaisseau, avec les esparres inférieures et supérieures, les vergues larges, quoique légères et maniables, dont la forme et la disposition parent à toutes les vicissitudes et à tous les caprices des vents ; tandis que le dernier et le plus grand des deux mâts s’élève de la carène comme le tronc droit d’un pin, simple dans ses cordages, et déployant une voile unique de toile qui à elle seule suffit pour aider le bâtiment à fendre rapidement les eaux. La coque était basse, gracieuse dans ses contours extérieurs, sombre comme l’aile du corbeau, et modelée pour voguer sur les eaux comme une mouette de mer sur les vagues. On apercevait plusieurs lignes confuses et délicates parmi les esparres qui étaient disposées pour étendre dans les airs les plis plus larges des voiles, lorsque cela était nécessaire ; mais ces lignes ou petits cordages, qui ajoutaient en plein jour à l’élégance du vaisseau, étaient alors à peine visibles, à la faible lueur de la lune. Enfin, comme le vaisseau était entré dans la crique avec la marée, et que son élégance semblait aérienne, Alida commençait à croire qu’elle était le jouet de sa propre imagination. Ainsi que beaucoup d’autres, elle ignorait la formation du passage, et, dans de telles circonstances, il n’était pas surprenant qu’elle s’abandonnât à ses suppositions chimériques.

Mais cette illusion ne dura qu’un instant. Le brigantin tourna