Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/98

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exerçant les plus précieuses et les plus belles facultés de l’homme, elle ne pouvait trouver extraordinaire qu’un commerçant eût des raisons pour dérober ses actions à la curiosité et à la rivalité de ses compétiteurs. Comme la plupart des personnes de son sexe, elle avait la plus grande confiance dans le caractère de ceux qu’elle aimait ; et bien que la nature, l’éducation et les habitudes eussent mis une grande différence entre le tuteur et sa pupille, leur harmonie n’avait jamais été interrompue par aucun refroidissement dans leur affection ;

— Voilà donc la belle Barberie ! répéta le jeune marin, car on voyait à son costume qu’il était permis de lui donner ce titre ; c’est elle ! Et il étudiait les traits de la jeune fille avec une expression de plaisir et de touchante mélancolie. La renommée n’est point trompeuse, car je vois tout ce qui peut justifier l’égarement ou la folie d’un homme.

— Voilà une conversation bien familière pour deux personnes qui sont entièrement étrangères, dit Alida en rougissant, quoique l’œil noir qui semblait pénétrer jusque dans ses pensées s’aperçût que ce n’était point de colère. Je ne puis nier que la partialité de mes amis, jointe à mon origine, m’a obtenu un titre qui m’est plutôt donné par plaisanterie que par la conviction qu’il soit sérieusement mérité. Mais il se fait tard, et cette visite est du moins singulière ; permettez-moi d’appeler mon oncle…

— Restez… interrompit l’étranger. Il y a si longtemps… si longtemps que je n’avais éprouvé un si doux plaisir ! C’est une vie de mystère que celle-ci, belle Alida, quoique les incidents qui la composent semblent vulgaires et reviennent chaque jour. Il y a du mystère dans son commencement, dans sa fin, dans ses impulsions, dans ses sympathies et ses passions opposées. Non, ne me quittez pas ! Je viens d’au-delà des mers, où des hommes vulgaires et grossiers ont été mes seuls associés, et votre présence est un baume pour un cœur blessé !

Intéressée bien plus encore, s’il était possible, par l’accent mélancolique et touchant de l’étranger que par son langage extraordinaire, Alida hésita. Sa raison lui disait que les convenances et même la prudence exigeaient qu’elle apprît à son oncle l’arrivée de l’inconnu ; mais la prudence perd beaucoup de son pouvoir, lorsque la curiosité d’une femme est excitée par une secrète et puissante sympathie. Ses yeux rencontrèrent des