Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/104

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pour que nous pensions à le décrire à notre tour : nous nous occuperons plutôt d’incidents personnels et particuliers que de la description d’événements publics, et nous omettrons tout ce qui n’a point un rapport immédiat avec notre histoire.

Lorsque le Bucentaure s’arrêta, il se fit un vide autour de sa poupe, et le doge parut sur une galerie construite de manière à le laisser voir de toute la foule. Il tenait une bague brillante de pierres précieuses ; il l’éleva en l’air, et, prononçant des paroles de fiançailles, il la jeta dans le sein de son épouse imaginaire. De bruyants applaudissements se firent entendre, les trompettes sonnèrent et les dames agitèrent leurs mouchoirs, comme pour le féliciter de cette union. Pendant tout ce bruit, augmenté encore par le son des canons des croiseurs et de ceux de l’arsenal, un bateau se glissa dans l’espace ouvert, sous la galerie du Bucentaure. Le bras qui dirigeait la légère gondole était agile et fort, bien que les cheveux de celui qui tenait l’aviron fussent blancs. L’homme qui était dans cette gondole jeta un regard suppliant sur les visages heureux qui ornaient la galère du prince, puis ce regard se baissa subitement sur les eaux. Une petite bouée de pêcheur tomba du bateau, qui s’enfuit aussitôt avec une telle rapidité que ce petit incident fut à peine remarqué au milieu de la confusion du moment.

Le cortège aquatique revint vers la ville, au milieu des acclamations de la multitude sur l’heureuse issue d’une cérémonie à laquelle le temps et la sanction du souverain pontife avaient donné une espèce de sainteté, augmentée sous quelques rapports par la superstition. Il est certain que peu de personnes, parmi les Vénitiens eux-mêmes, regardaient ce fameux mariage du doge et de l’Adriatique avec indifférence, et que plusieurs ambassadeurs des États du Nord osaient à peine, en échangeant des regards d’intelligence, se permettre de sourire. Cependant telle est l’influence de l’habitude (car une arrogante présomption peut devenir telle avec le temps), que ni la faiblesse de la république, ni la supériorité des autres puissances sur l’élément que cette cérémonie était censée représenter comme la propriété de Venise, ne couvraient pas encore cette prétention de tout le ridicule qu’elle méritait. Venise conservait cette vaine prétention, lorsque la raison et l’esprit des convenances auraient dû la forcer d’y renoncer depuis des siècles. Mais, à l’époque que nous décrivons, cet État