Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/140

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Antonio, surpris de ce qu’il avait déjà vu, suivait son guide d’un pas rapide, car une vague espérance commençait à faire battre son cœur ; il n’était pas assez inexpérimenté dans les affaires humaines pour ignorer que les hommes du pouvoir accordaient quelquefois en secret une faveur que la politique leur défendait d’accorder ouvertement. Rempli de l’espoir d’être introduit en la présence du doge lui-même, et de voir son enfant rendu à son amour, le vieillard marchait légèrement dans la sombre galerie ; et ayant suivi Jacopo à travers une nouvelle porte, il se trouva au bas d’un grand escalier. Le pêcheur eut peine alors à reconnaître son chemin ; car, quittant les issues publiques du palais, son compagnon passa par une porte secrète et plusieurs corridors obscurs. Ils montaient et descendaient fréquemment suivant la disposition des lieux, jusqu’à ce que la tête eût tourné complètement à Antonio, et qu’il lui fût devenu impossible de reconnaître la direction de cette course. Enfin ils s’arrêtèrent dans un appartement orné sans prétention, que sa couleur sombre et une faible lumière rendaient plus triste encore.

— Il paraît que tu connais bien la demeure de notre prince, dit le pêcheur lorsque son compagnon lui rendit la faculté de parler en ralentissant le pas : le plus vieux gondolier de Venise ne serait pas plus habile sur les canaux que tu ne l’es dans ces galeries et ces corridors.

— C’est mon affaire que de t’amener ici ; et ce que je fais, je tâche de le bien faire. Antonio, tu es un homme qui ne craint pas de paraître devant les grands, comme ce jour l’a prouvé ; appelle ton courage à ton aide, car le moment critique est arrivé.

— J’ai parlé hardiment au doge ; quel pouvoir sur la terre peut-on craindre davantage, excepté le saint-père lui-même ?

— Tu as peut-être parlé trop hardiment, pêcheur ; modère ta hardiesse, car les grands aiment les paroles respectueuses.

— La vérité leur déplaît-elle ?

— C’est selon ; ils aiment à entendre vanter leurs actions, lorsqu’elles méritent la louange ; mais ils n’aiment pas à les entendre condamner, même lorsqu’ils reconnaissent que ce qu’on dit est juste.

— Je crains, dit le vieillard en regardant son compagnon d’un air naïf, qu’il n’y ait pas une grande différence entre les puis-