Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/15

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— Ce n’est pas ce que tu as fait de mieux, caro, puisque le bon évêque est plus habile à arrêter la lave qu’à apaiser les vents. Mais tu courus donc le danger de perdre la felouque et ses braves matelots parmi les Turcs ?

— Il y avait eu en effet un navire tunisien qui croisait entre Stromboli et la Sicile ; mais, de par saint Michel ! il aurait aussi bien fait de chasser le nuage au-dessus du volcan que de courir après la felouque pendant un sirocco.

— Tu devais avoir le cœur un peu malade, Stefano ?

— Moi !… je ressemblais bien plutôt au lion que voici, avec une petite addition de chaînes et de muselières.

— Comme on s’en aperçut à la rapidité de ta felouque.

— Cospetto ! j’ai souhaité mille fois, pendant la chasse, être un chevalier de Saint-Jean, et que la bella Sorrentina fût une brave galère maltaise, quand ce n’eût été que pour l’honneur de la chrétienté ! Le mécréant serra de près mon arrière pendant deux heures, de si près que je pouvais reconnaître ceux de ces coquins qui portaient des turbans sales ou propres. C’était un triste spectacle pour un chrétien que de voir naviguer si bien ces infidèles.

— Et les pieds te faisaient mal, caro mio, en songeant à la bastonnade ?

— J’ai couru trop souvent nu-pieds sur nos montagnes de Calabre, pour frémir à l’idée d’une semblable bagatelle.

— Chaque homme à sa faiblesse, et je sais que la tienne est la crainte du bras d’un Turc. Tes montagnes natales ont leurs terres douces aux pieds et leurs terres rocailleuses ; mais on dit que le Tunisien choisit un plancher aussi noueux que son cœur lorsqu’il se donne le plaisir d’exciter les lamentations d’un chrétien.

— Le plus heureux mortel ne peut prendre que ce que la fortune lui envoie. Si la plante de mes pieds doit recevoir pareille chaussure, l’honnête prêtre de Sainte-Agathe sera frustré d’un pénitent. J’ai fait un marché avec le bon curé, par lequel il est convenu que toutes les calamités accidentelles de ce genre me seront comptées comme l’équivalent d’une pénitence générale. — Mais comment va le monde de Venise ? et que fais-tu sur les canaux pendant cette saison pour empêcher les fleurs de ta jaquette de se faner ?

— Je fais aujourd’hui ce que j’ai fait hier, et je ferai demain ce que j’ai fait aujourd’hui : je conduis la gondole du Rialto au