Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/235

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refusé votre pitié. Mais écouterez-vous mon histoire, Signore ? — Ne dédaignerez-vous pas d’entendre les aveux d’un bravo ?

— Je l’ai promis ; mais sois bref, car j’ai moi-même en ce moment de grands soucis.

— Je n’en connais pas toute l’étendue, Signore ; mais il n’est pas probable qu’ils soient aggravés par cet acte de bonté.

Jacopo fit un effort sur lui-même, et commença son récit.

La marche de notre histoire n’exige pas que nous suivions cet homme extraordinaire dans la relation qu’il fit à don Camillo des secrets de sa vie. Il nous suffit de dire que plus cette confidence approchait de son terme, plus le jeune seigneur calabrais se rapprochait du Bravo et l’écoutait avec intérêt. Le duc de Sainte-Agathe respirait à peine, tandis que son compagnon, avec ce langage énergique et ce ton animé qui sont propres au caractère italien, lui racontait ses chagrins secrets et les scènes dans lesquelles il avait joué un rôle. Avant qu’il eût fini, don Camillo avait perdu de vue ses propres sujets d’affliction ; et lorsqu’il eut entendu tous ses aveux, le dégoût que lui avait d’abord inspiré la présence de cet homme avait fait place à une compassion dont il n’était pas maître. En un mot, celui qui lui parlait était si éloquent, et les faits qu’il lui racontait offraient tant d’intérêt, qu’il semblait maîtriser les sensations de son auditeur, comme l’improvisateur commande aux passions de la foule qui l’écoute.

Cependant le duc et Jacopo étaient sortis des limites du cimetière méprisé, et le Bravo achevait ses aveux, lorsqu’ils se trouvèrent sur la rive opposée du Lido. Ce fut là qu’à la voix contenue de Jacopo succéda le bruit sourd de l’Adriatique, qui venait se briser sur le rivage.

— Cela surpasse toute croyance ! s’écria don Camillo, après une longue pause qui ne fut interrompue que par le choc alternatif des vagues.

— Signore, j’en atteste sainte Marie, c’est la vérité.

— Je n’en doute pas, pauvre Jacopo ; — je ne puis douter de la vérité d’une relation ainsi faite. Oui, tu as été victime de leur duplicité infernale, et tu peux bien dire que le fardeau était insupportable. — Quelles sont tes intentions ?

— De ne plus les servir, don Camillo. Je n’attends que la dernière scène solennelle qui maintenant est certaine, et alors je quitte cette ville d’astuce pour aller chercher fortune dans quelque