qu’un pas d’homme se posât sur cette galerie, et la jeune fille, avec le tact de son sexe, choisit cet endroit comme le plus convenable pour renouer la conversation
— Le trouves-tu changé ? lui demanda-t-elle en s’arrêtant.
— Beaucoup.
— Tu prononces ce mot avec un air effrayant !
— Je n’ai pas appris à mon visage à mentir en ta présence, Gelsomina.
— Mais il y a de l’espoir. — Tu lui as dis toi-même qu’il y en avait.
— Que sainte Marie me pardonne cette supercherie ! Je ne pouvais ôter au peu de temps qu’il a encore à vivre sa seule consolation.
— Carlo ! Carlo ! — Pourquoi es-tu si calme ? je ne t’ai jamais entendu parler si tranquillement des injustices faites à ton père et de son emprisonnement.
— C’est parce que sa délivrance est prochaine.
— Mais tout à l’heure tu disais qu’il était sans espoir, et maintenant tu parles de sa délivrance !
— De sa délivrance par la mort. Le courroux du sénat lui-même respectera le tombeau.
— Crois-tu donc sa fin si prochaine ? je n’avais jamais remarqué ce changement.
— Tu es bonne, Gelsomina, fidèle à tes amis, et tu ne peux soupçonner les crimes dont tu es incapable. Mais un homme qui a vu le mal d’aussi près que moi trouve des sujets de méfiance dans chaque événement nouveau. Oui, les souffrances de mon pauvre père touchent à leur fin, car la nature est épuisée en lui ; mais quand sa mort serait moins prochaine, je puis prévoir qu’on trouverait des moyens pour l’accélérer.
— Tu ne saurais supposer que personne ici voulût lui nuire !
— Je ne soupçonne aucun des tiens, Gelsomina. Ton père et toi, vous avez été placés ici par l’intervention des saints, afin que les démons n’eussent pas trop de pouvoir sur la terre.
— Je ne te comprends pas, Carlo ; — mais tu es souvent incompréhensible. — Ton père, en te parlant aujourd’hui, a prononcé un nom dont j’aurais voulu qu’il ne se fût pas servi.
Le Bravo jeta sur elle un regard inquiet et méfiant, et se hâta d’en détourner les yeux.
— Il t’a appelé Jacopo ? continua-t-elle.