Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/332

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encore se résoudre à partir, et vous mettre sur-le-champ sous la protection du cardinal-secrétaire. Si Stefano tient la mer, il peut arriver qu’il rencontre les galères de la république.

— Ne crains rien pour nous. — Mais toi, excellent Jacopo, que deviendras-tu entre leurs mains ?

— Soyez sans inquiétude, Signore. Dieu dispose de tout comme bon lui semble. J’ai dit à Votre Excellence que je ne puis encore quitter Venise. Si la fortune me favorise, je pourrai voir votre château-fort de Sainte-Agathe.

— Et personne ne sera mieux reçu ni plus en sûreté dans ses murs. — Mais je crains pour toi, Jacopo !

— N’y pensez pas, Signore ; je suis habitué au danger, — à la misère, — au désespoir. — J’ai eu un moment de plaisir cette nuit en voyant le bonheur de deux jeunes cœurs ; et Dieu, dans sa colère, m’en avait refusé depuis longtemps un semblable. — Madame, que tous les saints veillent sur vous, et que Dieu, qui est au-dessus de tout, vous préserve de tout danger !

Il baisa la main de donna Violetta, qui, ignorant encore la moitié des services qu’il lui avait rendus, l’écoutait avec étonnement.

— Don Camillo Monforte, continua-t-il, redoutez Venise jusqu’au jour de votre mort. — Que nulle promesse, nulle espérance ; nul désir d’augmenter vos honneurs ou vos richesses ne vous tentent jamais de vous mettre en son pouvoir. Personne ne connaît mieux que moi la fausseté de cette république, et mes derniers mots sont pour vous inviter à vous en méfier.

— Tu parles comme si nous ne devions plus nous revoir, digne Jacopo !

Le Bravo se retourna, et ses traits se trouvèrent exposés aux rayons de la lune. On y distinguait un sourire mélancolique annonçant la satisfaction du succès obtenu par les deux amants, satisfaction mêlée à de fâcheux pressentiments pour lui-même.

— Nous ne sommes certains que du passé, dit-il à-voix basse.

Touchant la main de don Camillo, il baisa la sienne et sauta à la hâte dans sa gondole. La corde en fut détachée et la felouque s’éloigna, laissant cet homme extraordinaire seul sur les eaux de l’Adriatique. Don Camillo courut à la poupe et vit pour la dernière fois le Bravo, qui retournait sur cette scène d’astuces et de violences à laquelle il était si charmé lui-même d’avoir pu échapper.