Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


— Tu as eu plus de temps pour tromper les douanes. Ta felouque est-elle prête pour sa besogne ?

— Quant aux douanes, il y a peu de chances de gain dans cette ville avare. Les sénateurs se réservent tous les profits pour eux et pour leurs amis, tandis que, nous autres marins, nous travaillons beaucoup et gagnons peu. J’ai envoyé une douzaine de tonneaux de lacryma-christi sur les canaux depuis que les masques sont sortis ; voilà les seules occasions. Il en reste cependant encore assez pour toi. Veux-tu boire ?

— J’ai fait vœu d’être sobre. Ton vaisseau est-il prêt comme à l’ordinaire, pour ton message ?

— Le sénat est-il aussi pressé de me payer ? Voilà le quatrième voyage à son service, et cependant il doit savoir que l’ouvrage a été bien fait.

— Il est content, et tu as été bien récompensé.

— Pas du tout ; j’ai gagné plus d’argent par une bonne cargaison de fruits des îles que par tout le service de nuit que j’ai fait pour lui plaire. Si ceux qui m’emploient me donnaient quelque liberté sur les entrées de ma felouque, il pourrait y avoir quelque avantage dans ce commerce.

— Il n’y a pas de crime que Saint-Marc punisse plus sévèrement que celui de frauder ses droits. Prends garde à tes vins, ou tu perdras non seulement ta barque, ton voyage, mais encore ta liberté !

— Voilà justement la chose dont je me plains, signor Roderigo. Tu seras coquin et tu ne le seras pas ; voilà la devise de la république. Quelquefois le sénat est aussi juste envers nous qu’un père à l’égard de ses enfants ; et d’autres fois nous ne pouvons rien faire sans nous cacher de lui dans l’ombre de la nuit. Je n’aime pas la contradiction ; car au moment où mes espérances sont un peu ranimées par les choses dont je suis témoin peut-être d’un peu trop près, elles sont toutes jetées au vent par un regard aussi sévère que celui que saint Janvier pourrait fixer sur un pécheur.

— Bappelle-toi que tu n’es plus sur la Méditerranée, mais sur un canal de Venise. Ce langage pourrait être imprudent s’il était entendul par des oreilles moins amies :

— Je te remercie de tes avis, quoique la vue de ce vieux palais qui est là-bas sort pour celui qui donne trop de licence à sa langue un avertissement aussi salutaire qu’un gibet l’est pour un pirate