Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/178

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sonne de l’abbaye, car il n’est pas facile à Ulrike Frey d’oublier qu’elle est femme et qu’elle est mère. J’ai prié souvent pour que les cœurs de ceux qui méditent ce dangereux sacrilège soient adoucis, et que pour leur propre sûreté ils puissent comprendre toute l’impiété de leur complot. Croyez-moi, comte, l’être terrible qui est adoré à Limbourg n’oubliera pas de se venger de ceux qui méprisent son pouvoir !

— Vous êtes certaine, Ulrike, que vos opinions ont du poids dans mon esprit, car depuis mon enfance je connais et je révère votre sagesse. Si vous aviez eu ces droits que la naissance seule peut donner, vous ne seriez point aujourd’hui passagère dans ce château, mais vous y seriez maîtresse absolue. L’obéissance que j’eus alors pour le bon plaisir de mon père me causa bien des chagrins pendant plusieurs années, et je ne retrouvai la tranquillité qu’à l’instant où la naissance d’un fils aîné tourna mes idées vers l’ambition.

Il est rare qu’une femme entende parler du pouvoir de ses charmes sur le sexe le plus fort sans une satisfaction secrète, et il n’y avait rien eu dans l’attachement auquel le comte faisait allusion qui pût alarmer les principes ou la délicatesse d’Ulrike ; pendant qu’elle écoutait les souvenirs de sa jeunesse, son sourire produisit sur ses beaux traits un effet ressemblant à la lumière mélancolique qui éclairait la chapelle de Limbourg ; il était doux, paisible, et s’il nous est permis de hasarder cette expression, il était coloré des teintes du passé.

— Nous ne sommes plus jeunes, Emich, répondit-elle en retirant sa main, que le comte pressait avec tendresse, et les souvenirs que vous rappelez appartiennent à un temps bien éloigné ; mais si vous avez en effet cette bonne opinion de ma prudence, vous pouvez être sûr que je n’ai jamais rien dit de vous qui ne vous fît honneur. Outre la volonté du vieux comte, il y eut encore d’autres raisons qui m’empêchèrent de recevoir vos hommages, comme on vous en informa alors, car aucun de nous ne doit censurer ces affections qui dépendent du goût ou du hasard.

— Par les onze mille vierges de Cologne ! Henrich Frey était à peine digne de faire cette injure à l’héritier de ma famille et de mon nom !

— Heinrich Frey reçut ma foi comme la noble Hermengarde reçut la vôtre, seigneur d’Hartenbourg, répondit Ulrike avec le