Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/224

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espoir à présent est dans la distance qu’il peut avoir à parcourir pour rejoindre ses camarades. Si notre prisonnier est un chef, comme je suis porté à le soupçonner, nous en ferons un otage, et nous tirerons de lui aussi bon parti qu’il pourrait en tirer d’un de ses chameaux. Soyez sûr que nous n’en reverrons pas un d’ici à plusieurs heures, et nous profiterons de ce temps pour prendre un peu de repos. Il faut qu’un homme passe son quart dans son hamac, sans quoi il devient aussi rétif qu’une poulie rouillée.

Le capitaine ayant adopté ce plan, ne perdit pas de temps pour l’exécuter. Étant descendus sur le sable, ils rendirent la liberté des jambes au prisonnier, qu’ils trouvèrent étendu parterre comme une planche, lui ôtèrent son bâillon, et l’emmenèrent sur le pont du bâtiment. L’ayant ensuite conduit dans la chambre du capitaine, M Truck prit une lumière, tourna tout autour de lui, et l’examina avec la même attention que si c’eût été quelque animal inconnu du désert.

Cet Arabe était un homme basané et vigoureux, d’une quarantaine d’années, ayant les fibres endurcies et offrant aux yeux la maigreur d’un coureur de profession. En un mot, tout son corps offrait l’image parfaite d’un homme fait pour supporter aisément le mouvement fatigant d’un dromadaire. Indépendamment du long mousquet dont le capitaine s’était emparé, il portait aussi un long couteau qui lui fut également retiré. Son principal vêtement était un manteau grossier de poil de chameau, qui lui servait de bonnet et d’habit : ses yeux noirs étincelaient pendant que le capitaine lui approchait une lampe du visage, et il était évident qu’il pensait qu’il lui était arrivé un malheur très-sérieux. Comme toute communication verbale était impossible, les deux marins essayèrent de se faire entendre par signes ; mais cette tentative, comme les raisonnements de certaines gens, produisit un effet diamétralement opposé à celui qu’ils attendaient.

— Le pauvre diable s’imagine peut-être que nous voulons le manger, Leach, dit le capitaine après avoir essayé, sans succès, quelques instants son talent pour la pantomime. — Il a quelque raison pour avoir cette idée, puisqu’il a été renversé comme un bœuf destiné à la cuisine ; tâchez du moins de lui faire comprendre que nous ne sommes pas des cannibales.

M. Leach commença alors une pantomime expressive, décrivant avec une clarté très-suffisante toute l’opération d’écorcher, de couper, de faire cuire et de manger le corps de l’Arabe, dans l’intention humaine de désavouer ensuite une telle cruauté en donnant de fortes marques de répugnance et de dégoût ; mais rien ne peut remplacer les deux petits monosyllabes oui et non, et le dernier acte de la pan-