Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

convaincu que John Effingham était un homme plein de préjugés, et que lui seul était juste et libéral.

— Vous venez de voir, sir George, un homme qui ne manque ni de talents ni d’honnêteté, et cependant il souffre que son intérêt et l’influence de cette manie de spéculations l’emportent sur son bon sens, sur des faits aussi clairs que le jour, et sur les principes qui peuvent seuls gouverner un pays en toute sûreté.

— Il craint la guerre, et il ne veut pas croire même les faits quand ils servent à en accroître le danger.

— Précisément ! car la prudence même cesse de pouvoir être utile quand on vit dans un état d’infatuation semblable à celle qui existe aujourd’hui. Ces hommes sont comme le fou qui s’écrie : « Il n’y a point de mort ! »

En ce moment, ils rejoignirent les dames, remontèrent en voiture, et parcoururent une suite de rues étroites et tortueuses, bordées de boutiques et de magasins remplis de tous les produits du monde civilisé.

— Une grande partie de tout ce que vous voyez ici, dit John Effingham au baronnet, pendant que les voitures marchaient lentement dans ces rues encombrées, est encore la suite de cette lamentable illusion. — Celui qui vend ses terres par lots à un grand profit compte sur son crédit, se croit enrichi, et augmente ses dépenses en proportion. Le jeune campagnard devient commerçant, ou ce qu’on appelle ici commerçant, obtient en Europe un crédit qui excède cent fois ses moyens, et fournit ainsi à ses besoins factices. C’est ainsi que toutes les avenues de la société sont couvertes d’aventuriers, insectes éphémères de cet esprit de folie si généralement répandu. Des marchandises, dont la valeur peut se compter par millions, sortent de ces rues pour alimenter la vanité de ceux qui s’imaginent être riches, parce qu’ils ont quelque garantie imaginaire de l’augmentation des prix, semblable aux plans que nous avons vus chez l’auctioneer, et qui n’ont d’autre sûreté des paiements qu’ils ont à faire que celle qu’on peut avoir en supposant une valeur de cent dollars à ce qui n’en vaut réellement qu’un seul.

— Les effets de cet état de choses se montrent-ils dans le commerce de la vie ordinaire ?

— Ils se montrent partout. Le désir de s’enrichir s’est emparé tout à coup de toutes les classes de la société. Même les femmes et les membres du clergé en sont infectés, et nous vivons sous la