Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/13

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— Qui peut être cet homme, Grace ? En avez-vous jamais entendu parler ? Que peut-il avoir à me dire ?

— C’est le gérant des terres de votre père, et il peut avoir quelque message à laisser pour mon oncle. Recevez-le ; vous serez tôt ou tard obligée de faire sa connaissance ; autant vaut aujourd’hui qu’un autre jour.

— Vous l’avez fait entrer dans le salon, Pierre ?

— Oui, Mademoiselle.

— Je sonnerai quand j’aurai besoin de vous.

Pierre se retira, et Ève, ouvrant son secrétaire, prit un petit registre manuscrit, dont ses doigts feuilletèrent les pages avec rapidité.

— Le voici, dit-elle en souriant « M. Aristobule Bragg, procureur, avocat, et gérant du domaine de Templeton. » Il faut que vous sachiez, Grace, que ce précieux petit livret contient l’esquisse, tracée par John Effingham, du caractère des personnes qu’il est probable que je verrai dans ce pays. Vous sentez que c’est un livre scellé ; mais il ne peut y avoir aucun mal à lire l’article qui concerne cet individu. Écoutez :

« M. Aristobule Bragg est né dans un des comtés de l’ouest de l’État de Massachusetts, et après avoir fini son éducation, il est venu à New-York à l’âge mûr de dix-neuf ans. À vingt et un, il fut admis au barreau, et depuis sept ans, il a suivi avec succès toutes les cours de l’Otsego. On ne peut lui refuser des talents, car il a commencé son éducation à quatorze ans, et il l’a terminée avec éclat à vingt et un, y compris ses cours de droit. Cet homme est un épitomé de tout ce qu’il y a de bon et de mauvais dans une classe nombreuse de ses compatriotes. Il a l’esprit vif, il est prompt à agir, entreprenant quand son intérêt l’exige, et toujours prêt à employer sa main, toutes ses ressources, et même à sacrifier ses principes pour se procurer quelque avantage. Rien n’est assez élevé pour l’empêcher d’y aspirer ; rien assez bas pour qu’il s’en abstienne. Il fera des courses pour le gouverneur ou pour le clerc de la ville, suivant que l’occasion l’exigera. Il est expert dans toutes les pratiques de sa profession. Il a appris à danser pendant trois mois, étudié les auteurs classiques pendant trois ans, et donné son attention à la médecine et à la théologie avant de se décider à prendre le parti du barreau. Il est presque impossible de bien décrire un tel composé d’adresse, d’impudence, de prétentions, d’humilité, d’intelligence, de grossièreté vulgaire,