Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/188

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avec les nuances plus vives des arbres que l’hiver prive de leurs feuilles. Çà et là, quelque arbrisseau couvert de fleurs égayait ce tableau, et des massifs de châtaigniers aussi en fleurs semblaient entourer d’une gloire naturelle les cimes sombres des pins.

La barque fit ainsi plus d’un mille, effrayant quelquefois un oiseau de passage perché sur une branche ; ou un oiseau aquatique nageant près du rivage. Enfin John Effingham fit cesser de ramer, et guidant l’esquif à l’aide du gouvernail, il dit à ses compagnons de lever les yeux, attendu qu’ils étaient sous le « pin silencieux. »

Une exclamation générale de plaisir suivit ce premier regard, car il est rare qu’un arbre se montre sous un jour plus avantageux que celui qui attira sur-le-champ tous les yeux. Ce pin avait crû sur l’extrême bord du lac ses racines pénétrant dans la terre à quelques pieds au-dessus du niveau de l’eau, mais dans une telle situation, que la distance qui séparait le tronc du lac semblait s’ajouter à la hauteur de l’arbre. Comme tous ceux qui poussent dans les épaisses forêts de l’Amérique, sa taille avait augmenté pendant dix siècles, et on le voyait alors dans sa gloire solitaire, monument de ce que ces montagnes, dont la végétation était encore si riche, avaient été dans les jours de leur splendeur. Jusqu’à une hauteur de près de cent pieds, le tronc était lisse et sans branches, et alors commençaient des masses de feuillage d’un vert foncé, qui l’entouraient comme la fumée qui s’élève vers le ciel en guirlandes. Cet arbre gigantesque s’était incliné vers la lumière, cherchant à se dégager du milieu de ses semblables, et sa cime avançait alors sur le lac à dix ou quinze pieds de ses racines. Cette courbure presque insensible prêtait de la grâce à cette déviation de la ligne perpendiculaire, et y donnait assez de grandeur pour en rendre l’effet vraiment sublime. Quoiqu’il n’y eût pas un souffle de vent sur le lac, le courant d’air au-dessus de la forêt était suffisant pour en agiter les branches les plus hautes, qui cédaient avec grâce à cette impulsion.

— Ce pin est mal nommé, dit sir George Templemore, car c’est l’arbre le plus éloquent que j’aie jamais vu.

— Il est vraiment éloquent, ajouta Ève, car on l’entend parler même en ce moment des orages terribles qui ont grondé autour de sa cime ; des saisons qui se sont écoulées depuis qu’il a élevé sa tête verdoyante au-dessus de la foule de frères qui croissaient derrière lui et à ses côtés, et de tout ce qui s’est passé sur le lac