Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/210

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appris à croire que c’est l’influence la plus corruptrice sous laquelle on puisse vivre ; mais j’avoue que je ne croyais pas voir le jour où des étrangers, oiseaux de passage, créatures d’une heure, s’arrogeraient le droit de demander aux anciens habitants, depuis longtemps établis dans le pays de leur justifier de leur titre à leurs propriétés, sous peine d’en être dépouillés par la violence, chose extraordinaire et inouïe.

— Depuis longtemps établis ! répéta John en riant. Qu’appelez-vous depuis longtemps établis ? N’avez-vous pas été absent dix ans, et ces gens ne réduisent-ils pas tout au niveau de leurs habitudes ? Je suppose que vous vous imaginez que vous pouvez aller à Rome, à Constantinople, à Jérusalem, y passer quatre à cinq lustres, revenir ensuite à Templeton, et en reprenant possession de votre maison, vous appeler un ancien habitant de ce village.

— Bien certainement ! je le suppose. Combien n’avons-nous pas rencontré d’Anglais, de Russes et d’Allemands en Italie, qui y séjournaient depuis bien des années, et qui n’en conservaient pas moins leurs droits naturels et leur attachement à leur patrie ?

— Cela est vrai dans les pays où la société est permanente, où les hommes sont accoutumés à voir les mêmes objets, les mêmes figures, et à entendre les mêmes noms pendant toute leur vie. J’ai eu la curiosité de prendre quelques informations, et je me suis assuré qu’aucune des anciennes familles établies à Templeton n’a pris part à cette affaire de la pointe, et que toutes les clameurs ont été poussées par ce que vous appelez les oiseaux de passage. Mais qu’importe ? Ces gens s’imaginent que tout est réduit aux six mois que la loi exige pour avoir le droit de voter, et que le tour de rôle dans les personnes est aussi nécessaire au républicanisme que le tour de rôle dans les places.

— N’est-il pas extraordinaire que des gens qui ont si peu de lumières sur ce sujet soient si indiscrets et prennent un ton si péremptoire ?

— Point du tout en Amérique, Édouard. Regardez autour de vous, et vous verrez des aventuriers prendre le dessus partout dans le gouvernement, dans les villes, et même dans les villages. Nous sommes une nation changeante. Je conviens pourtant que c’est la suite naturelle de causes légitimes, car un immense pays couvert de forêts ne peut se peupler à d’autres conditions. Mais cette nécessité a vicié le caractère national, et l’on ne peut souf-